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Après le printemps 2018, quelles bases pour une alliance étudiants-ouvriers ?

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Cinquante ans après mai 68, il faut que le mouvement étudiant reprenne une des discussions qui a animé tout le mouvement étudiant d’alors, du quartier latin à Caen en passant par Nantes, c’est à dire son rapport au mouvement ouvrier, après un printemps 2018 qui a vu les cheminots et les étudiants opérer de réelles tentatives de convergence.

Arthur Nicola

Le printemps 2018 et le retour de la question de la convergence des luttes

Ce printemps, une fois de plus, la classe ouvrière, à travers les cheminots, s’est imposée comme sujet central de la lutte contre les attaques du patronat, représenté aujourd’hui par Macron. Car si le mouvement étudiant a quelque peu inquiété le gouvernement, notamment au moment où il s’agissait d’évacuer les facs occupées, c’est bien les cheminots qui étaient au centre des préoccupations du gouvernement, qui a tenté au printemps de faire plier un des secteurs les plus combatifs du mouvement ouvrier, sans y arriver malgré trois mois de lutte et une défaite sur la question revendicative.

S’il existe toujours des gens pour dire que tous les mouvements sont égaux entre eux, le mouvement des cheminots a montré, malgré toutes ses limites, notamment en termes d’auto-organisation, que c’est bien la classe ouvrière, par sa place décisive dans le processus de production, qui est capable d’effrayer la bourgeoisie au point où elle est obligée de mentir publiquement sur les présupposés privilèges des cheminots qui étaient devenus, entre février et mars, des salariés payés 5000€ par mois et avaient plus de 75 jours de congé.

Pour les étudiants qui occupaient et bloquaient leurs facs, le lien avec le mouvement cheminot s’est tout de suite imposé dans la réalité politique. Si chronologiquement, le mouvement étudiant ne commence réellement à prendre de l’ampleur après le 22 mars, ce n’est pas seulement à cause de l’attaque fasciste qui a eu lieu à Montpellier : le même jour, un tiers des cheminots s’est mis en grève malgré les timides appels de la CGT Cheminots à une « journée de manifestation ». C’est la détermination des cheminots qui a ouvert la voie, pour la première fois depuis l’élection de Macron, à une victoire de notre classe sur le gouvernement. La centralité du mouvement cheminot s’est aussi rapidement imposée sur la question programmatique, avec dès le départ le sentiment des étudiants mobilisés qu’il fallait converger avec les cheminots, avec notamment la formule « les cheminots veulent pouvoir envoyer leurs enfants à la fac et les étudiants ne veulent pas payer 300€ par mois pour les transports » ou encore « même Macron même combat ». Là étaient les bases d’une réelle « convergence des luttes » entre cheminots et étudiants, qui, bien qu’insuffisamment développée, a pu faire émerger des questions qui semblaient quelque peu enfouies dans l’imaginaire du mouvement étudiant.

L’inconvénient avec l’expression « convergence des luttes », c’est qu’elle est assez floue pour que tous les courants de la gauche, qu’elle soit réformiste, autonome ou révolutionnaire, s’en revendique, expliquant que c’est la principale arme pour faire face à Macron et à ses réformes. Voilà un flou qu’il s’agit de préciser : aujourd’hui, il faut poser la question de la convergence comme celle d’une alliance entre le mouvement étudiant et le mouvement ouvrier. Cette formule, loin d’être un simple exercice formel, permet surtout de mieux comprendre les tâches qui incombent aujourd’hui révolutionnaires dans le mouvement étudiant.

Reconstituer la force sociale du mouvement étudiant

Tout d’abord, poser la question comme celle d’une alliance entre mouvement étudiant et mouvement ouvrier suppose d’une part l’existence d’une classe ouvrière seule capable d’être un moteur pour l’émancipation de tous les exploités et les opprimés.

Mais cela suppose aussi l’existence d’un mouvement étudiant compris comme une force sociale à un moment t. Cela paraît anodin, mais aujourd’hui beaucoup de camarades de lutte, notamment les autonomes, nient cette capacité des étudiants, à se poser, face à des attaques du gouvernement, comme un mouvement étudiant en soi. Cette négation s’incarne par exemple dans le concept de « multitude » de Toni Negri, qui en effaçant ce caractère de force sociale au profit d’une dilution dans la multitude des individus en lutte contre le système capitaliste, efface la capacité du mouvement étudiant à se penser comme sujet politique.

Cela s’est incarné particulièrement à Tolbiac dans la dynamique de l’occupation, à travers la logique selon laquelle les personnes « légitimes » pour prendre les décisions ne sont pas les étudiants réunis en AG contre la sélection, mais l’ensemble des « occupants » de la Commune Libre de Tolbiac, qu’ils soient étudiants, sans-logis, sans-papiers, ou parfois même salariés. Si évidemment, l’attractivité de Tolbiac montre aujourd’hui la persistance, dans de nombreux milieux, de la volonté d’en découdre avec l’État bourgeois, la dynamique des AG d’occupations a tout simplement désarmé le mouvement étudiant, incapable de se recomposer autour de revendications qui lui sont propres et à mêmes de se constituer comme une force sociale.

Un seul contre-exemple semble émerger, celui du Mirail à Toulouse, où la faiblesse du mouvement autonome et une maturité politique plus développée qu’ailleurs, liée notamment au nombre important de mouvement locaux (lié à l’assassinat de Rémi Fraisse ou encore contre la fusion des universités toulousaines), ont fait que le mouvement toulousain a pu se développer autour de revendications plus « étudiantes ». Cela s’est fait sans corporatisme, avec un mouvement très lié à la grève des personnels administratifs, mais avec l’attention portée aux liens tissés avec des secteurs salariés, notamment les cheminots, même si cela reste pour l’instant au stade de démonstrations isolées, comme le meeting de soutien à la bataille du rail. Toutefois, il convient de préciser que la dynamique propre au Mirail en fait un cas assez particulier, avec depuis plusieurs années une lutte principalement centrée autour de l’enjeu de la fusion des universités toulousaines, et tirée en partie par les revendications des BIATS.

A l’opposé des théories negristes sur la « multitude », une des facettes du mouvement étudiant à reconstruire dans la phase de transition actuelle dans laquelle il se trouve, c’est la reconstruction d’une identité du mouvement étudiant autour d’une question centrale, celle qui la touche en premier ordre, c’est à dire celle du rôle de l’université dans la société, de la critique de cette université bourgeoise qui subit aujourd’hui les attaques du patronat pour l’asservir la plus efficacement à ses intérêts, au mépris des aspirations des étudiants. Le débat, pourtant primordial, du rôle de l’université dans le système de domination bourgeois, est un débat que les révolutionnaire se doivent de relancer dans les universités.

En ce sens, les ateliers alternatifs qui ont pu être proposés dans les facs occupées n’ont été qu’un début de la lutte pour une autre université. Dire qu’il faut que le mouvement étudiant, qui est aujourd’hui dans une phase de transition, doit se repenser comme sujet propre avec ses revendications ne veut pas dire qu’il faut promouvoir une politique corporatiste comme a pu le faire l’UNEF en son temps. En effet, toute stratégie corporatiste qui penserait que les étudiants pourraient gagner seuls, ou que les occupants d’une fac pourraient gagner seuls sans alliance avec la classe ouvrière en lutte ne peut mener qu’à l’échec, comme l’ont tragiquement démontré les évacuations des facs occupées ce printemps.

Ce n’est cependant qu’un préalable nécessaire pour que les étudiants puissent s’allier en tant que sujet politique au mouvement ouvrier dans une idée d’alliance entre deux forces sociales. Cela est, par ailleurs, totalement en contradiction avec l’idée d’une convergence des luttes qui se ferait par des échanges entre des personnes de secteurs différents parlant en leur propre nom, que ce soit à l’échelle inter-individuelle ou grâce aux « AG de lutte » proposées ici ou là par certains courants autonomes.

Quel pacte étudiant-ouvrier aujourd’hui ?

Une des bases de l’alliance entre le mouvement ouvrier et le mouvement étudiant est une critique radicale et sans compromis de cette université au service de la bourgeoisie. Aujourd’hui, si l’université a pour rôle central de former des travailleurs en fonction des besoins de l’économie capitaliste, il faut aussi voir son rôle dans la fabrique de l’idéologie dominante. Face à cela, les principaux écueils consistent nier son caractère de classe et vouloir d’une part ou bien « Sauver l’université » ou d’autre part vouloir, « ici et maintenant », à l’instar des autonomes, faire de l’université un lieu de vie alternatif émancipé du capitalisme.

Il s’agit plutôt, dans une logique « permanentiste », de s’appuyer sur les marges de manœuvre disponibles dans l’université pour esquisser ce que serait une fac au service des intérêts du plus grand nombre.

Ne peut-on pas imaginer que les médecins et biologistes qui réfléchissent à comment développer des vaccins et des médicaments utiles à tous et toutes (pour une contraception facile et accessible à tous, contre les maladies rares...) plutôt que les produits cancéreux produits par Sanofi ?

Ne peut-on pas imaginer des ingénieurs qui réfléchissent à des voitures plus propres qui ne sont pas obsolètes après 150 000km, plutôt que réfléchir à des moyens de trafiquer les contrôles d’émission des particules du diesel comme on a pu le voir récemment ?

Ne peut-on pas imaginer des historiens qui cherchent à faire revivre l’histoire du mouvement ouvrier et de la lutte des classes plutôt que s’évertuer à expliquer par des démonstrations bancales que la classe ouvrière a disparu ?

Penser une université qui soit réellement au service de tous et toutes suppose de fait de passer, selon la formule née en 1968, « de la critique de l’université de classe à la critique de la société de classe ». Cette critique de la société de classe, et la compréhension, à l’échelle de masse, de la force prédominante de la classe ouvrière dans l’émancipation, doit être un des chantiers à reconstruire. En mai 68, les étudiants s’étaient rendus devant Renault Billancourt avec une banderole portant l’inscription « prenez de mains fragiles nos drapeaux de lutte », exprimant cette conscience de la centralité de la classe ouvrière dans la lutte pour le socialisme. Reconstruire cette identité suppose aujourd’hui de développer, chaque fois que c’est possible, le soutien des étudiants au mouvement ouvrier en lutte, pour tisser ces liens et lui apporter tout ce dont il capable, de sa fougue à ses compétences (l’étudiant en droit ne pourrait-il pas défendre les grévistes poursuivis par le patron ; l’étudiant en droit ne pourrait-il pas participer à la déconstruction des discours de François Lenglet sur la crise ?). C’est une des raisons pour laquelle au printemps dernier, de nombreux camarades du NPA Jeunes ont poussé pour développer ces initiatives, à travers des meetings de soutiens, ou encore des concerts de soutien. Pour ne prendre que l’exemple de Tolbiac, le 14 avril, plus d’un millier de personne s’est pressée à Tolbiac pour alimenter les caisses de grèves des cheminots, en récoltant 6000€ en une soirée !

Cet exemple parmi d’autres incarne une des voies dans lequel le mouvement étudiant, à la croisée des chemins, pourrait s’engager : un mouvement étudiant qui lutte non seulement pour des facs ouvertes à tous et toutes, mais aussi pour une fac utile à tous et toutes, en se solidarisant avec toutes les luttes des exploités et des opprimés, que ce soit les cheminots de la bataille du rail, mais aussi une jeunesse internationaliste, qui soutienne aujourd’hui les jeunes nicaraguayens qui se font aujourd’hui massacrer et les mouvements étudiants contre la casse de l’université en Argentine. Voilà, un des principaux bilans que l’on doit tirer de cette lutte contre la sélection : il faut renouer avec la tradition de 68 qui avait lié le destin des étudiants à celui de la classe ouvrière et de ses combats.

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Mis à jour le dimanche 24 mars 2024