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Face aux attaques contre la protection sociale, mettre en cause le système capitaliste

Crédit Photo : Photothèque Rouge / Franck Houlgatte

« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie.

Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme...

À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. »

(Denis Kessler, vice-président exécutif du MEDEF de 1998 à 2002 et inspirateur d’E-A. Seillière, dans la revue Challenges le 4 octobre 2007).

Cette version française du thatchérisme et du reaganisme a été mise en place à partir du milieu des années 70 pour répondre à la fois à l’approfondissement des crises économiques et à la grande trouille de Mai 68. Si le programme du Conseil National Résistance est devenu la cible d’une bourgeoisie imprégnée de néo-libéralisme, il n’en reste pas moins que ce programme d’union nationale visait à reconstruire une économie, un État capitaliste grâce au soutien d’un PCF (et de la CGT) fort de sa participation à la Résistance. Un programme visant à empêcher le développement d’une crise révolutionnaire potentielle au vu des grèves, des occupations et prises de direction d’usines et des milliers de résistants traînant les pieds pour rendre les armes. Il s’apparentait à la politique mise en place aux États-Unis au début des années 1930 contre la dépression, et était très inspiré par le programme du Front Populaire. Les réels acquis (Sécurité sociale, hôpital public, retraites) doivent être compris dans le cadre des moyens que se donnait la bourgeoisie pour reconstruire l’industrie, la circulation des marchandises, l’économie du pays.

Cette union nationale sera rapidement mise à mal sous la double pression de la bourgeoisie internationale via le plan Marshall et le développement des résistances ouvrières. La France ne faisait vraiment pas partie des pays « abandonnés » à l’URSS dans le partage du monde initié à Yalta. Après les privations, la misère, les destructions et la répression subies pendant la guerre, les horaires, les conditions de travail imposées par la reconstruction de l’économie avec des salaires strictement limités serviront de base au développement de luttes, de mobilisation dans plusieurs secteurs industriels. À l’encontre des célèbres paroles de Thorez : « Un seul État, une seule armée, une seule police », puis « Produire, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée du devoir de classe, du devoir de français ».

Dans le même temps, l’application du programme du CNR assurera l’intégration profonde du mouvement ouvrier depuis les comités d’entreprises jusqu’au Comité économique et social (devenu CESE) en passant par la gestion de la Sécu, la présence dans de multiples lieux du dialogue social et de gestion des entreprises nationalisées.

La déconstruction

Au fil des années, tous les gouvernements vont s’employer à réduire l’État à ses fonctions régaliennes, sa participation aux activités économiques ou industrielles se recentrant sur la privatisation des profits et la nationalisation des pertes et en sapant la protection sociale construite à la sortie du conflit mondial. La seule parenthèse, en matière économique, sera celle du premier gouvernement Mitterrand remettant à l’honneur des nationalisations : huit grands groupes industriels, plus de 40 banques et 8 holding financières. En 1983, unE salariéE sur quatre travaille dans le secteur public.

C’est De Gaulle, l’emblématique représentant de la bourgeoise, qui engagera les premières offensives au travers des ordonnances de 1967 avec, notamment, la division la Sécurité sociale en trois branches distinctes (santé, famille, vieillesse). Suivront les premiers déremboursements de médicaments, l’augmentation du ticket modérateur (Barre 76), l’instauration du forfait hospitalier (Mauroy 83), la création de la contribution sociale généralisée (CSG, Fabius 90), la création de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS, Juppé 96), la création par Raffarin de l’Unocom, qui regroupe les mutuelles et les assureurs privés (2005), la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) instaurant le financement à l’acte (T2A) et la création des agences régionales de santé (ARS, Fillon 2009), et avec Valls en 2016, les complémentaires santé deviennent obligatoires dans toutes les entreprises.

Cette casse de la santé et de la protection sociale s’inscrit dans la politique d’attaques contre tous les services publics, qu’il s’agisse de l’éducation nationale avec dès les années 70 l’abandon progressif de l’enseignement et de la formation professionnels au patronat, ou des services liés aux finances publiques, la Poste, EDF-GDF, la SNCF, la RATP… La remise en cause des systèmes de retraites étant souvent un point de passage obligé de remise en cause des statuts1.

Une rupture assumée

Macron entend aujourd’hui passer à une nouvelle étape. Il veut opérer un basculement irréversible vers un modèle libéral, en rupture assumée avec les fondements de la Sécurité sociale. Il a décrit ce projet global, le 10 juillet 2018, devant le congrès réuni à Versailles, sous le nom « d’État providence (!) du 21e siècle » : « Notre solidarité est devenue dans son fonctionnement statutaire, elle s’est attachée aux carrières, aux secteurs d’activité et ne correspond plus aux règles d’une économie de l’innovation et de la compétence ». Après l’assurance chômage, le système de santé, l’assurance maladie, les « retraites par points » constituent le dernier et principal volet de ce basculement vers une « protection sociale » compatible avec le néo-libéralisme.

Compte tenu des rapports de force sociaux, l’offensive menée contre la protection sociale depuis les années 80, ne pouvait pas, dans un premier temps s’en prendre de front à l’ensemble des salariéEs. Les contre-réformes successives ont donc opéré un démantèlement progressif, secteur par secteur, et la mise en place d’une société « duale » où coexistent des salariéEs de moins en moins nombreux conservant certaines garanties collectives et un salariat précaire en augmentation croissante. Les droits sociaux sont beaucoup plus faibles, voire inexistants, pour les travailleurs/ses « uberiséEs » .

L’enjeu de la contre-offensive

Ayant opéré ce démantèlement, la bourgeoisie et ses porte-paroles ont beau jeu de dénoncer les « privilèges », des salariéEs qui conservent encore une partie de leurs acquis sociaux. Le projet de Macron consiste, en cassant les derniers « statuts » et garanties restantes, à institutionnaliser et à rendre irréversible, un nivellement général s’alignant sur les situations les plus défavorables.

La mise en œuvre du programme du CNR a imposé, au-delà de la rémunération directe – « le salaire net » – le versement, sous forme de « cotisations sociales », d’un salaire « indirect », « socialisé ». Cette part socialisée du salaire représente aujourd’hui 40 % de la masse salariale. Mise dans un pot commun, les caisses de Sécurité Sociale, elle permet aux salariéEs de faire face aux situations où ils cessent de recevoir leur salaire direct (maladie, maternité, vieillesse, chômage), ainsi qu’à financer les soins dont ils ont besoin (assurance maladie) et l’éducation de leurs enfants (allocations familiales). Aux yeux des capitalistes, l’existence de ce salaire socialisé constitue un triple scandale.

Il accroit la part des salaires (du travail rémunéré), au détriment du travail gratuit (la plus-value). Toléré pendant la phase d’expansion économique qui a suivi la Seconde guerre mondiale il est devenu, avec le retournement de la conjoncture une « charge » insupportable qui accroit le « coût du travail » face à la concurrence. Aussi est-il la cible de toutes les politiques d’austérité et des contre-réformes libérales. De plus, il rémunère non pas le salarié au travail, qui produit et donc génère de la plus-value, mais le salarié « hors travail », payé, du point de vue capitaliste à ne « rien » faire. Enfin, il préfigure des normes de répartition de la richesse qui démontrent la supériorité d’une réponse socialisée (en fonction des besoins) sur une réponse individuelle.

Construire une riposte globale

La force de la bourgeoisie à cette étape est basée sur deux réalités. Tout d’abord, la dégradation du rapport de forces au dépend des travailleurs/ses qui s’étale depuis plusieurs décennies avec notamment des échecs sur les réformes visées aujourd’hui : retraites, privatisations, destruction du secteur public, sur un fond de chômage de masse. En même temps, ces défaites ont permis d’affaiblir, de fracturer voir de disloquer le camp de toutes celles et ceux qui ont fondamentalement les mêmes intérêts. Sur les retraites par exemple, bien qu’au fil des années les régimes spéciaux aient été rapprochés du régime général, un front commun de touTEs les concernéEs est, à cette heure, encore à constituer. Le ralliement de la CFDT ou de l’UNSA au projet global, le refus de la construction d’un affrontement global du côté de la CGT ou de la FSU rendent encore plus difficile ce rassemblement. Il nous faut partir de la réalité de l’actuelle diversité des situations. Convaincre à la fois que l’existant, résultat du travail de sape qui s’est étalé sur des décennies, est loin d’être satisfaisant et d’autre part qu’à partir des fondements actuels (répartition, salaire socialisé), les moyens existent de rapprocher par le haut l’ensemble des systèmes actuels. Le mouvement des Gilets jaunes a montré, montre qu’il est possible que diverses catégories d’exploitéEs se retrouvent à la fois sur des ronds-points ou dans la rue et sur un refus global du système. L’enjeu est là : construire le rapport de forces qui permet de gagner sur l’ensemble du front, qui débouche sur une remise en cause globale du monde des Macron-Delevoye-Philippe.

Robert Pelletier

1.
L’exemple parfait d’EDF-GDF. Lire : Une privatisation négociée. La CGT à l’épreuve de la modification du régime de retraite des agents d’EDF-GDF. Adrien Thomas. L’Harmattan.

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Mis à jour le samedi 13 avril 2024