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Fin du mois, fin du monde : l’urgence de la convergence

Crédit Photo :
Paris le 9 mai 2019, manifestation unitaire de la fonction publique. Photothèque Rouge - JMB

Convergence des luttes, front unique, unité, autant d’expressions reprises quand on tente d’élaborer des stratégies pour gagner contre Macron et son monde. Autant de conceptions qui devraient être assises sur une analyse un peu précise des rapports entre les classes, loin des formules simplistes. La colère gronde, mais les difficultés sont nombreuses et nous imposent d’essayer de comprendre la nature des obstacles à franchir.

Les disparités au sein de la classe des travailleurSEs sont à l’origine des difficultés à constituer un front commun dans les mobilisations, loin du mythe des 99% contre 1% et autres tentatives de constitution d’un peuple aux intérêts communs. L’actualisation de la réflexion sur les délimitations et différenciations au sein des classes sociales reste d’actualité.

Fragmentation

Le mouvement des Gilets jaunes a mis en lumière certaines de ces questions en étant, celui qui a, à cette étape, le plus perturbé l’agenda du gouvernement. Mais ceci n’efface pas l’hétérogénéité sociale de ce mouvement qui explique à la fois les revendications avancées et les modes d’actions mis en œuvre. Il serait trop rapide d’en faire une espèce de nouvelle avant-garde offrant des solutions à la crise du « mouvement ouvrier » à la fois en termes de contenu revendicatif et de formes de mobilisation. La mobilisation pour les retraites fait également apparaître des fractionnements importants entre les différents groupes sociaux concernés. Les fortes mobilisations à la RATP, celles des retraitéEs et celles du Collectif SOS Retraites (regroupant les avocats et quatorze autres professions libérales) ne doivent pas masquer les importantes disparités des situations qui tiennent à la fois de différences de statuts dans la classe ouvrière mais aussi d’appartenance à des catégories sociales aux intérêts significativement différents. Les mobilisations dans le secteur de la santé voient affleurer les structurations sociales d’un milieu hétérogène entre médecins, infirmierEs, agentEs hospitalierEs. De même dans l’Éducation nationale, il y a un grand écart entre les professeurs de facs et les professeurs des écoles et plus encore si l’on prend en compte les agents de service, de labo, les personnels administratifs et les différents statuts. Dans les entreprises, les fracturations sont multipliées par les différents échelons, qualifications, par les statuts. Mais aussi par l’assujettissement de nombreuses femmes aux métiers de comptabilité, gestion, secrétariat dont le rapport à la hiérarchie immédiate rend souvent très difficile la mobilisation aux côtés des ouvrierEs et technicienNEs. Enfin, la sous-traitance interne ou externe, la précarisation, l’uberisation, qui frappent notamment les jeunes, tendent même à masquer les frontières entre les différentes de classes, à laisser croire qu’il y a une continuité entre les donneurs d’ordre, vrais patrons, et le dernier maillon de la chaîne qui peut-être un « indépendant » de Deliveroo.

Des contours à redéfinir

Les rapports entre les classes s’invitent donc dans le débat. Si certains tentent de reprendre les analyses qui constituent les classes sociales, ce n’est pas sans difficulté. Ainsi, un ouvrage collectif récent « Les Classes sociales en Europe » (Les Classes sociales en Europe Cédric Hugrée - Étienne Penissat - Alexis Spire Tableau des nouvelles inégalités sur le vieux continent, Agone) retient surtout les catégories de “classes populaire”, “classes moyennes” “classes supérieures”, plutôt que d’essayer d’actualiser les repères de classe dans la société actuelle. A. Bihr, dans son livre « Entre bourgeoisie et prolétariat » (Entre bourgeoisie et prolétariat, l’encadrement capitaliste, L’Harmattan) y contribuait reprenant l’approche de Marx comparant « l’usine à une caserne dont les contremaîtres seraient les sous-officiers, ou encore à un bagne où “le fouet du conducteur d’esclaves est remplacé par le livre de punitions du contremaître” » en s’appliquant à déterminer comment se construisent les rapports de classe et la délimitation de l’encadrement capitaliste, selon lui vraie classe sociale, autonome dans ses fonctions, ses pratiques et ses visées politiques, qui regroupe tous ceux dont la tâche est de concevoir, organiser, contrôler et surtout légitimer les rapports sociaux d’exploitation et la domination du Capital. C’est dire qu’elle ne comprend pas seulement le personnel d’encadrement des entreprises et de l’appareil d’État, les animateurs sociaux et culturels, mais aussi les professionnels des organisations syndicales et des partis politiques. Ces évocations ne sauraient constituer une analyse approfondie de l’état du monde du travail mais juste donner une idée de l’ampleur des difficultés à mobiliser, à rassembler. Difficultés que l’idée d’une « trahison » des bureaucraties « ouvrières » (syndicats, partis) ne permet pas de résumer parce qu’elle masque des obstacles objectifs plus profonds.

De l’unité

Le concept de front unique est né dans le cadre de la création de la IIIe internationale (cf Les quatre premiers congrès de l’Internationale communiste) dans une situation où le prolétariat est à l’offensive et où il s’agit de rassembler dans les mobilisations les masses influencées d’un côté par les partis de la IIe internationale passés dans le camp de la bourgeoisie, de l’autre, celles influencées par ceux de la nouvelle internationale, voire des forces « intermédiaires ». Mais, dès le début des années 30, il est clair que la situation s’est défavorablement retournée. À nouvelle période, nouveau parti et nouveau programme,le Programme de transition (Programme de Transition, L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVe Internationale, Trotsky, 1938) constitue une mise à jour de la question de l’unité du prolétariat dans une phase de dégradation inédite du rapport de forces. Ce plan d’action est cependant en continuité avec les théories héritées de la période précédente : « Le prolétariat accède à la prise de conscience révolutionnaire non par une démarche scolaire mais à travers la lutte de classes qui ne souffre pas d’interruptions. Pour lutter, le prolétariat a besoin de l’unité de ses rangs. Cela est vrai aussi bien pour les conflits économiques partiels, dans les murs d’une entreprise que pour des combats politiques » nationaux « tels que la lutte contre le fascisme. Par conséquent, la tactique de front unique n’est pas quelque chose d’occasionnel et d’artificiel, ni une manœuvre habile, non elle découle complètement et entièrement des conditions objectives du développement du prolétariat ». (La Révolution allemande et la bureaucratie stalinienne, Trotsky, 1932). La discussion sur l’unité, après une éclipse de plusieurs décennies, est réapparue dans les années 70. Curieusement, ce sont plus les velléités unitaires du PCF et du PS, dans la foulée de mai 68, en vue de la constitution d’un gouvernement de « gauche », qu’une montée des mobilisations qui va faire ressurgir le Programme de transition, y compris avec des formules sur la question du gouvernement, héritées des expériences des années trente notamment.

L’échec des stratégies alternatives

Depuis, la dégradation du rapport de forces au détriment du prolétariat, les politiques d’accompagnement des politiques de la bourgeoisie en matière économique et sociale, voire de répression, par les partis et syndicats « ouvriers » et les reculs de l’influence de ces organisations ont déplacé la préoccupation de l’unité et les formulations de Front unique en direction des institutions, des élections, masquant en grande partie leur importance sur le plan des grandes confrontations de classe. Gouvernement ouvrier, gouvernement des organisations ouvrières, etc. sont des formulations qui peu utilisées et peu comprises. La perte d’influence des organisations syndicales pose les problèmes de mobilisation tant sur les questions économiques (salaires, suppression d’emploi, etc..) que plus politiques (attaques contre le Code du travail, la Sécu, les retraites, répression, etc..), et renforce l’idée que c’est dans les élections et les institutions qu’on doit contenir le recul global. Depuis 1995, la stratégie des centrales syndicales est en échec, confrontée à des difficultés de mobilisation au-delà des stricts rangs militants. La création des SUD puis de Solidaires ou de la FSU a permis, un certain temps, de compenser la passivité des appareils. Mais l’évolution de la FSU et les difficultés à peser sur le cours des choses de Solidaires ont découragé bien des militantEs au fil des échecs des mobilisations. Cette impuissance a conduit à l’apparition de formes de mobilisations se vivant comme parallèles, voire opposées. « Nuit debout », les « cortèges de tête », Front social et divers collectifs et regroupements ponctuels ont représenté des tentatives de rompre avec les stratégies d’échecs. Et surtout le mouvement des Gilets jaunes tente depuis un an de réunir rassemblement large, détermination, radicalité et auto-organisation. Avec des revendications allant de la taxe sur les carburants au renvoi de Macron et de son monde, le rapport de force à constituer est bien au-dessus des capacités de mobilisation des différents regroupements alternatifs aux directions confédérales.

Des secteurs importants disponibles à la mobilisation

C’est dans ce contexte que s’ouvrent les perspectives de mobilisations de cette année 2019-2020. Une année au cours de laquelle le pouvoir devrait tenter de faire passer la décisive contre-réforme des retraites. Ce qui s’impose tout d’abord, c’est l’existence de nombreuses mobilisations qui combinent radicalité et persévérance.

D’abord dans le secteur hospitalier, avec les exemples de l’hôpital psychiatrique de Saint Étienne du Rouvray, de l’hôpital Purpan de Toulouse et des 250 services d’urgences mobilisés. Dans l’impossibilité d’exercer effectivement leur droit de grève, l’épuisement moral et physique, la colère leur font trouver des modes d’actions inédits sur lesquels la répression ne semble guère avoir d’effets. À La Poste, cela fait des mois et des mois que les mobilisations se suivent et se ressemblent contre les réorganisations. Depuis des années, les salariéEs de l’hôtellerie ont multiplié les luttes pour les salaires, les conditions de travail et la cessation de la sous-traitance, massive dans ce secteur. Régulièrement, des sans-papiers se mobilisent pour imposer aux employeurs la remise des CERFA, premier pas vers une possibilité de régularisation. La mobilisation des jeunes et des moins jeunes autour de la question climatique est maintenant inscrite de façon durable dans le paysage.

On sent, on voit bien que les colères sont là, à fleur de mobilisation. La journée de mobilisation sur les retraites pour la RATP s’est soldée par une grève massive. L’accident qui s’est produit dans les Ardennes a fait s’exprimer à la SNCF au grand jour la colère emmagasinée au fil des réorganisations, désorganisation, mises en danger des salariéEs et des usagerEs. À ce titre, la mobilisation a alerté le gouvernement sur les possibilités de la montée de la colère face à sa politique.

Pour quelle unité

À cette étape, le risque est important de voir se reproduire plus ou moins la situation de 1995. Avec d’un côté le secteur public, éventuellement appuyé par d’autres secteurs aux systèmes de retraites particuliers, largement mobilisés, et un secteur privé supporteur mais aussi spectateur de la lutte. Un retour à la grève par procuration mais dans une situation plus dégradée. D’un côté EDF-GDF, La Poste, la SNCF ont des capacités de mobilisation moindre au fil des réorganisations déstructurantes et affaiblissant les capacités de mobilisation des organisations syndicales. Les évolutions sociologiques et les positionnements syndicaux dans l’Éducation nationale risquent de peser également défavorablement. Dans la métallurgie, l’accumulation des défaites plus ou moins en rase campagne ne présage pas d’une volonté, d’une capacité de mobilisation, de prise d’initiative, après les défaites de GM&S, Ford, puis General Electric et bien d’autres. En ce qui concerne l’attitude des directions syndicales des questions se posent aussi. En 1995, la combativité de la direction de FO était en grande partie motivée par la volonté du gouvernement de l’évincer de la direction de la Sécurité sociale au profit de la CFDT. Si la direction de la CFDT a ouvertement soutenu Juppé et combattue la mobilisation, il existait en son sein une opposition structurée, notamment dans les transports publics permettant la construction d’un mouvement unitaire déterminé. Enfin les secteurs des transports, en particulier la SNCF et la RATP, au côté d’EDF étaient des bastions tant politiques qu’organisationnels pour la CGT, lui imposant une relative volonté de mobilisation. Enfin, l’offensive répressive engagée successivement par les différents gouvernements est à un niveau jamais atteint depuis la guerre d’Algérie. Avec un effet dissuasif tant en ce qui concerne les manifestations que le droit de grève.

Que faire ?

Pourtant le fond de l’air est aux soulèvements populaires, sociaux à l’échelle internationale du Liban au Chili en passant par l’Algérie, l’Égypte, Haïti, l’Équateur, Hong Kong, l’Irak, la Catalogne et la grève « historique » des salariéEs de General Motors aux USA. Un climat social, politique international qui, entremêlé aux poussées de colère en France, pourrait bien finir par peser sur la politique macroniennne. La possibilité d’un mouvement social important en France peut s’inscrire à la fois dans les multiples mobilisations évoquées plus haut et dans la forme de globalisation passant des luttes pour « la fin du mois » à celles contre « la fin du monde » perceptible tant chez les Gilets jaunes que dans les mobilisations pour le climat. L’enjeu consiste donc à inscrire en chapeau des mobilisations une volonté de régler les comptes, tous les comptes avec ce gouvernement, avec cette bourgeoisie arrogante. Dans ce contexte l’exigence de démissions de Ministres (Blanquer, Castaner, Pénicaud, Bourne…) pourrait placer les questions politiques au cœur des mobilisations avec, comme le clamaient les Gilets jaunes, l’exigence de la démission de Macron. Dans ces batailles sociales à objectifs politiques les dispositifs unitaires seront probablement variables tant au niveau syndical que politique, voir associatif. L’objectif étant de réunir les conditions les plus favorables aux mobilisations c’est-à-dire la grève, les manifestations mais aussi une auto-défense de celles-ci.

Robert Pelletier

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Mis à jour le samedi 16 mars 2024