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Retour sur les théories classiques du fascisme

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Le Congrès antifasciste de 1932 du Front uni, montrant le logo flanqué de bannières soviétiques au centre et des images du KPD à droite. © Movimiento Nacionalista Palomo / Wikimedia Commons.
Olivier Dussart
Revue L’Anticapitaliste n°135 (mai 2022)

Le terme fascisme est assez souvent utilisé dans le débat public. Mais que recouvre-t-il vraiment ? Pour essayer de cerner ce phénomène, nous nous proposons de revenir à la source en observant ses deux premières manifestations (malheureusement de grande ampleur) en Italie et en Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Dans un article publié en 2017, Vanina Giudicelli observe qu’en matière de définition du fascisme « souvent, le critère utilisé fait référence aux discours ou aux programmes (sécuritaire, raciste, liberticide, etc1.) ». On se heurte alors pourtant à une difficulté. Où situer la frontière entre les mesures programmatiques fascistes et celles qui ne le sont pas ? L’exercice est d’autant plus difficile dans un contexte comme celui que nous connaissons aujourd’hui en France de droitisation des discours politiques et médiatiques dominants.

Le fascisme ne se définit pas par le discours ou le programme

Ainsi, avant 2016, on aurait pu considérer que l’extension des cas de déchéance de nationalité serait une mesure d’extrême droite voire fasciste. Or elle fut proposée par un président « socialiste ». De même, avant la récente campagne présidentielle, on aurait pu être tenté de qualifier de fasciste la thèse délirante du grand remplacement avant de la voir reprise par la candidate de droite « républicaine » Pecresse (tandis que, pour sa part, Marine Le Pen s’y refusait).

En fait, pour le fascisme (et plus largement sur ce point certainement l’ensemble de l’extrême droite), les orientations programmatiques n’ont aucune importance. « Notre doctrine est le fait » proclamait Mussolini lors du premier congrès fasciste en 1919. « L’action a enterré la philosophie » déclarait le même, quelques années plus tard, lors de la marche sur Rome2. Selon Angelo Tasca « La vraie originalité (du fascisme) réside […] dans la fonction déterminante et d’une certaine mesure autonome qu’y prend la tactique au détriment du programme […] Le fascisme mène davantage une lutte de positions qu’une guerre de principe. Sa ressource suprême est le fait accompli qui n’est tel qu’avec la prise de pouvoir3 ». Ce même mépris pour les questions programmatiques se retrouvait dans le national-
socialisme. Trotsky décrit ainsi Hitler « l’agitateur ne conservait dans sa mémoire que ce qui rencontrait l’approbation. Ses idées politiques étaient le fruit d’une acoustique oratoire. C’est ainsi qu’il choisissait ses mots d’ordre. C’est ainsi que son programme s’étoffait »4.

Vanina Giudicelli considère donc à juste titre que « Mettre l’idéologie ou les discours au centre de l’analyse des mouvements fascistes est […] une erreur qui fige ce courant alors qu’il s’appréhende mieux à partir de sa dynamique. Ce qu’il a fait étant au moins aussi important que ce qu’il a proclamé »5. À la suite de l’historien Robert Paxton, elle nous invite à « avoir une approche fonctionnelle du fascisme, c’est-à-dire de l’aborder à partir de ce à quoi ce courant politique a servi, les intérêts qu’il a défendus ».6

On notera que ce rappel permet d’apporter un élément de réponse à une question souvent posée aujourd’hui. Comment comprendre les multiples changements de cap du FN/RN, du reaganisme à la française des années 80 à une certaine démagogie sociale par la suite, de la sortie de la zone euro à son maintien (en passant par la résurrection de l’Ecu !). Comment expliquer aussi que Marine Le Pen rassemble plus de 13 millions de suffrages alors que, notamment lors des deux débats présidentiels de 2017 et 2022, elle a étalé l’inconsistance et l’incohérence de son programme.

En fait, consistance et cohérence programmatiques n’ont aucune importance aux yeux du FN/RN et – aspect essentiel… aucune non plus pour l’essentiel de son électorat, ce qui constitue un point commun entre ce parti et les fascismes classiques.

Une première conclusion s’impose donc à ce stade. Les partis fascistes n’avancent aucune mesure programmatique qui ne pourrait pas être avancé par des organisations non fascistes (des partis bourgeois traditionnels par exemple). Les spécificités du fascisme sont donc à chercher ailleurs.

La régénérescence du groupe ethnique ou national menacé

Un premier point commun des organisations fascistes réside dans l’importance centrale accordée à l’idée de l’urgence d’une régénérescence du groupe (national ou ethnique) menacé dans son unité par :
- des périls extérieurs (les étrangers),
- des périls intérieurs (notamment les nationaux « de papier » mais aussi le mouvement ouvrier qui déchire l’unité nationale par sa référence à la lutte des classes).

Le groupe menacé sera essentiellement défini « comme une communauté de sol et de sang, à la limite de race, plus encore que de culture »7.

Robert Paxton parle, pour sa part, d’une « préoccupation obsessionnelle pour le déclin de la société, pour son humiliation et sa victimisation, pour les cultes compensatoires de l’unité… »8. Alain Bihr observe enfin « sur le plan institutionnel, [le fascisme] se fait le champion de l’unanimisme national contre le multipartisme de la démocratie parlementaire, des droits des peuples contre les droits de l’homme et du citoyen, de la communauté nationale contre l’individu. Sur le plan moral, méconnaissant la liberté de conscience, il exige la soumission et le sacrifice de l’individu au salut du corps national »9.

Reste que si cette « préoccupation obsessionnelle » se retrouve dans tous les fascismes, elle ne leur est pas propre et caractérisera, de manière plus générale, tous les courants d’extrême droite10. On peut penser, par exemple, au monarchiste Maurras et à sa dénonciation des quatre États confédérés (protestants, francs-maçons, juifs et métèques) mettant en danger l’unité nationale.

Là aussi, la spécificité du fascisme est donc à chercher ailleurs et nous proposons de retenir les trois critères cumulatifs de définition évoqués par Vanina Giudicelli11.

Les trois critères cumulatifs définissant le fascisme Un mouvement de masse extra institutionnel

En premier lieu, à la différence des partis bourgeois et d’autres formations d’extrême droite, le fascisme ne s’appuie pas (du moins jusqu’à son arrivée au pouvoir) sur les forces de répression et d’encadrement classiques (armée, police, église, école…) de l’État bourgeois mais sur un mouvement de masse extra institutionnel. Vanina Giudicelli écrit très justement : « Car si ceux-ci (les partis libéraux et conservateurs) s’appuient sur les leviers idéologiques ou institutionnels traditionnels du capitalisme qui poussent à la passivité de la population (comme l’école, les médias, l’Église, l’État, la police, l’armée), le fascisme cherche à l’enrôler, la galvaniser et la discipliner, notamment par le biais des structures parallèles qu’il construit ».12

Cela conduit Eric Hobsbawn à ce constat contre-intuitif : le fascisme « appartenait à l’ère de la vie politique démocratique et populaire que les réactionnaires traditionnels déploraient »13. Pour sa part, Angelo Tasca précise « Le fascisme n’est pas une pure réaction mais une réaction qui se sert des méthodes des masses, les seules efficaces dans la situation d’après-guerre. Il tente de transposer la lutte sur le terrain de ses adversaires, de saper leurs influences auprès des masses »14.

Bien entendu, le fascisme met en mouvement ces masses autour une discipline de fer (une organisation d’« armée en campagne »15), du culte de l’autorité et du chef. Les devises du fascisme « croire, obéir, combattre » et de la SS « Mon honneur s’appelle fidélité »16 témoignent de cet esprit.
Un mouvement petit-bourgeois

En second lieu, le centre de gravité de ce mouvement de masse réside dans la petite bourgeoisie17. Contrairement à ce qu’imaginaient Marx et Engels18, les classes intermédiaires ne se sont pas prolétarisées et n’ont pas disparu comme « fraction indépendante de la société moderne ». « Pourquoi cette résistance ? », s’interroge Daniel Guérin en 1936 : « parce que le producteur indépendant préfère son sort, pourtant chaque jour plus précaire à la condition prolétarienne ; parce que, pour la même raison, des prolétaires s’évadant chaque jour de leur classe, viennent grossir les rangs des classes moyennes »19. Parallèlement, de nouvelles classes moyennes apparaissent. À la différence des classes intermédiaires classiques, elles sont salariées mais exercent des fonctions d’encadrement et bénéficient de salaires qui leur donnent le sentiment de s’élever au-dessus du reste du salariat.

Au lendemain du premier conflit mondial, ces catégories intermédiaires (classiques ou nouvelles) sont paupérisées par la guerre et ses conséquences économiques immédiates notamment l’inflation et le chômage20. Elles voient, de surcroît, avec angoisse dans le développement du capitalisme monopoliste, un facteur de prolétarisation et de déclassement. Nous les trouvons donc sur-représentées (surtout au début) dans les partis fascistes. Ainsi, travailleurs indépendants, cols blancs, fonctionnaires étaient, à la veille de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, sur-représentés (entre 50 et 80 % en plus par rapport à leur poids dans la société) dans le parti national-socialiste21.

Habituellement, les classes moyennes n’ont pas d’orientation politique propre et oscillent selon les rapports de force entre le mouvement ouvrier et le bloc bourgeois. Mais dans ce contexte des années 20, le calvaire22 vécu par les classes moyennes va se conjuguer à la faiblesse d’une bourgeoisie discréditée, incapable de stabiliser la situation et à un mouvement ouvrier divisé, affaibli par l’échec de la vague révolutionnaire de l’immédiat après-guerre et par la politique aussi fluctuante qu’erronée des staliniens. Aussi, beaucoup dans ces classes moyennes vont chercher un débouché politique autonome dans le fascisme.

Bien sûr, les fascistes vont chercher (et malheureusement réussir) à étendre leur base sociale. Ils vont ainsi attirer des éléments de la bourgeoisie mais aussi de larges secteurs ouvriers plutôt demeurés à l’écart de l’influence du mouvement ouvrier organisé (ouvriers agricoles notamment) ou situés à ses pôles (lumpenprolétariat d’un côté, aristocratie ouvrière de l’autre).

La démagogie sociale va être un moyen de mobiliser ensemble cette petite bourgeoisie et ces secteurs du prolétariat.

Sur la forme, cette démagogie est très présente : parti national-socialiste des travailleurs allemands en guise de nom, 1er mai rendu férié par Hitler, journal de Mussolini dénommé « quotidien socialiste » sans oublier la présence du rouge sur le drapeau nazi.

Sur le fond, il s’agit bien sûr d’un anticapitalisme de façade. Comme l’observe Ernest Mandel, il « n’attaque que certaines formes précises du capitalisme (“l’asservissement aux prêteurs”, les grands magasins, le capital “accapareur” en opposition au capital “créateur”, etc.) La propriété privée en tant que telle et le pouvoir du patron ne sont jamais remis en question ».

Daniel Guérin précise « Le fascisme fait ainsi d’une pierre deux coups : d’une part il flatte les classes moyennes en se faisant l’interprète fidèle de leurs aspirations rétrogrades ; d’autre part, il jette en pâture aux masses ouvrières – et tout particulièrement à ces catégories de travailleurs qui manquent de conscience de classe – un anticapitalisme utopique et inoffensif et il les détourne ainsi du véritable socialisme »23. Le nationalisme (particulièrement efficace dans des pays de constitution nationale récente comme l’Allemagne et l’Italie) va constituer le premier axe de cet anticapitalisme petit-bourgeois. « Les masses sont prédisposées à croire que l’ennemi est moins leur propre capitalisme que le capitalisme étranger… Il (le fascisme) détourne l’anticapitalisme des masses vers la ploutocratie internationale »24. Pour autant, le fascisme ne peut, sauf à se discréditer totalement, épargner la bourgeoisie nationale. Il porte alors sur elle une critique superficielle, axée sur sa faiblesse morale « Les classes moyennes détestent la bourgeoisie d’une tout autre façon que la classe ouvrière. Elles ne souhaitent pas sa disparition en tant que classe. Tout au contraire, elles voudraient à leur tour devenir bourgeoise. Le fascisme lorsqu’il s’affirme antibourgeois, lorsqu’il dénonce la “dégénérescence” de la bourgeoisie, n’entend nullement s’attaquer à l’ordre social existant. Il veut au contraire rajeunir cet ordre par un apport de sang frais, de sang plébéien. Il flatte ainsi les classes moyennes tout en détournant les masses de la lutte des classes, du socialisme prolétarien »25.

Un mouvement indépendant de la bourgeoisie

Enfin la troisième caractéristique est l’autonomie par rapport à la bourgeoisie.

Ce point a fait l’objet de vives et nombreuses discussions au sein du mouvement ouvrier. Nombreux virent ou voient encore dans le fascisme une force créée et organisée par le grand capital. Ainsi, en 1935, la IIIe Internationale stalinisée valida une proposition de Dimitrov qualifiant le fascisme de « dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier ». Pourtant, en réalité, « les fascistes construisent leur mouvement indépendamment de la volonté de l’État ou de la bourgeoisie »26. En effet, « de telles masses humaines, les magnats financiers n’auraient jamais pu malgré tout leur or les dresser sur leurs jambes »27. Ainsi, indique Daniel Guérin, ce n’est qu’à l’été 1930 qu’une fraction du capital allemand (industrie lourde) commencera à financer largement Hitler28.

Fruit de la volonté des classes moyennes de dégager une voie politique indépendante, le fascisme dont nous avons vu l’inconsistance programmatique ne peut pourtant mettre en place une politique alternative à celle de la bourgeoisie. Il va donc chercher un accord avec elle pour parvenir au pouvoir. « Après une phase de développement indépendant lui permettant de devenir un mouvement de masse et d’engager des actions de masse, il a besoin du soutien financier et politique de fractions importantes du capital monopoliste pour se hisser au pouvoir »29.

De son côté, dans quelles conditions, la bourgeoisie peut-elle avoir intérêt à un tel accord avec les fascistes ? Après avoir vu les trois caractéristiques d’une organisation fasciste, nous proposons d’aborder ce point.

L’arrivée au pouvoir des fascistes : le fruit d’un accord avec la bourgeoisie

Une domination de classe comme celle que la bourgeoisie exerce sur la société ne peut s’exercer dans la durée en se basant sur la seule coercition. De par l’étroitesse de sa base sociale, la bourgeoisie doit donc chercher du soutien dans la petite bourgeoisie et, si possible, dans des fractions du prolétariat. Pour cela, la démocratie libérale est un système de domination efficace tant qu’elle parvient à créer autour d’elle un bloc hégémonique avec une partie des classes subalternes. La démocratie libérale permet ainsi d’éviter l’instabilité que représenterait la thérapie de choc du fascisme et les risques de guerre civile entre celle-ci et le mouvement ouvrier. Or, dans l’Allemagne des années 20 et du début des années 30 (pour prendre cet exemple), les chanceliers bourgeois se succèdent sans qu’aucun ne parvienne à stabiliser la situation. Les classes moyennes s’autonomisent avec le fascisme. Malgré son affaiblissement suite à l’échec de la révolution allemande (1918-1923), le poids du mouvement ouvrier demeure, pour sa part, très important et une nouvelle poussée révolutionnaire demeure possible sinon probable. Face à ce péril, la bourgeoisie sait, de plus, que l’appareil répressif de l’État est relativement faible avec notamment une armée à laquelle le traité de Versailles interdit de dépasser les 100 000 membres.

Peu à peu, au fur et à mesure des échecs des gouvernements bourgeois successifs, la bourgeoisie va se résoudre à faire appel aux fascistes pour stabiliser la situation. « Le régime fasciste voit son tour arriver lorsque les moyens “normaux” militaires et policiers de la dictature bourgeoise avec leur couverture militaire ne suffisent pas pour maintenir la société en équilibre ».30

Ainsi, ni en Allemagne ni en Italie, le fascisme n’est parvenu au pouvoir démocratiquement à la suite d’un processus électoral régulier. Pas plus qu’il n’y est parvenu par une prise de pouvoir par la force. Dans les deux cas, les fascistes furent invités par la bourgeoisie à prendre le pouvoir.

Le fascisme au pouvoir : un État totalitaire au service des intérêts de la bourgeoisie

Arrivé au pouvoir, le fascisme sert les intérêts de la grande bourgeoisie avec laquelle il s’est allié. En Allemagne et en Italie, la concentration du capital contre laquelle la petite bourgeoisie avait voulu lutter se poursuit avec les fascistes au pouvoir. La petite bourgeoisie sera « parmi les principales victimes économiques et dupes politiques d’un régime qu’elles auront pourtant contribué à mettre en selle »31. De même le fascisme au pouvoir s’appuie désormais sur l’État qui se transforme en appareil totalitaire « Alors et alors seulement, le fascisme prend des allures de dictature policière et militaire classique, tout en maintenant toujours une démagogie révolutionnaire pour continuer à s’assurer un appui dans les masses populaires »32. Le parti fasciste, parti de masse extra institutionnel, devient un appendice de l’appareil d’État devenu tout puissant.

Contrepartie à l’accord, la bourgeoisie laisse, à regret, aux cadres petits-bourgeois du parti fasciste les postes de direction de l’appareil d’État.

Quels enseignements pour la situation actuelle : le cas de la France

À la lueur de ce retour historique, que penser de l’actualité du fascisme. Des forces fascistes ou postfascises peuvent-elles arriver au pouvoir aujourd’hui ?

Il convient en premier lieu de se demander si la bourgeoisie a intérêt aujourd’hui (ou peut avoir intérêt demain) à recourir à un mouvement fasciste. À la fin du siècle dernier, Alain Bihr avait répondu négativement sur ce point en soulignant alors la solidité du « nouveau bloc hégémonique dont le PS recentré sous la férule mitterrandienne a jeté les fondations au cours des années 1980. Il en a résulté une “normalisation” de la vie politique française, désormais réduite à l’alternance régulière au pouvoir de coalitions tantôt de droite, tantôt de gauche […] ne s’opposant plus que sur l’art et la manière de gérer dans le cadre, désormais tenu pour intangible, déterminé par les intérêts de la fraction hégémonique de la classe dominante, liée au processus de transnationalisation »33. Les scores d’Hidalgo et Pécresse à la dernière élection présidentielle montrent que ce nouveau bloc hégémonique a désormais disparu. L’émergence de Macron, en 2017 a certainement constitué une tentative de construction d’un bloc hégémonique de substitution à l’alternance PS/LR discréditée. On peut douter, aujourd’hui, du succès de l’entreprise. Loin du profil « ni de gauche ni de droite » qu’il voulait initialement endosser, Macron est aujourd’hui largement perçu comme le représentant de la classe dirigeante (« le président des riches ») largement détesté en dehors de celle-ci. Loin d’avoir constitué un nouveau bloc hégémonique, LREM semble s’être limité à remplacer LR déclinant comme parti de la bourgeoisie avec une base sociale très étroite. La bourgeoisie se trouve donc confrontée à une nouvelle grave crise d’hégémonie dans un contexte de crise sociale et écologique susceptible de provoquer des résistances importantes des travailleuses et travailleurs à ses attaques. On ne peut donc écarter qu’elle puisse, selon l’évolution de la situation, souhaiter recourir à l’option fasciste34.

Mais ce recours implique qu’existe dans le paysage politique, un parti fasciste de masse. Dans le cas de la France, assurément, le rassemblement national remplit un grand nombre des critères de définition du fascisme vus dans cet article : volonté de régénérer la nation menacée dans son identité, base sociale petite-bourgeoise, autonomie par rapport à la bourgeoisie. IndifférentEs à la cohérence programmatique du parti qu’ils/elles soutiennent, les partisans du Rassemblement national semblent vérifier certains des éléments de la mentalité fasciste présentés par Alain Bihr, il y a 25 ans, « Le désir d’être aimé (reconnu et valorisé) par autrui et par soi-même […] Désir précisément mis à mal chez ceux qui sont ou qui redoutent de devenir les “laissés-pour-compte” de la crise […] Les mouvements fascistes répondent par leur idéologie nationaliste qui permet à des individus déboussolés […] de regagner identité, confiance et fierté en se sentant […] membre de la grande communauté nationale »35.

Pour autant, le rassemblement national diverge des courants fascistes classiques sur un point l’organisation et la galvanisation des masses en dehors du cadre institutionnel. Avec cette différence, peut-on considérer que le Rassemble national est un équivalent fonctionnel du fascisme ? La question est en débat L’ambition de cet article n’était pas de le trancher mais de rappeler quelques repères pouvant être utiles dans la manière d’appréhender les possibilités de résurgence de mouvement fasciste aujourd’hui.

1.
Vanina Giudicelli. « Existe-t-il un danger fasciste en France ? », Contretemps. 4 mai 2017
2.
Déclaration à Giuseppe Bevilacqua. La Stampa, 31 octobre 1922.
3.
« Fascismes un siècle mis en abîme ». Collectif. Syllepse, 2000, p.31, article extrait de Contre le fascisme, Genève 1970.
4.
Léon Trotsky. Qu’est-ce que le national-socialisme ? Œuvres. 1933.
5.
Op cit. Giudicelli.
6.
Ibid.
7.
Alain Bihr, Le spectre de l’extrême droite, les Français dans le miroir du Front national, Éditions de l’atelier, 1998, p 159.
8.
Vanina Giudicelli op cit.
9.
Alain Bihr, op cit.
10.
« En ce sens, le fascisme n’est qu’un nationalisme radical, poussant le fétichisme de la nation, jusqu’à ses plus extrêmes conséquences idéologiques et pratiques », Ibid.
11.
Vanina Giudicelli op cit.
12.
Vanina Giudicelli op cit.
13.
Eric Hobsbawn, L’âge des extrêmes Histoire du court XXe siècle. Edition complexe/Le monde diplomatique 1999, p.163.
14.
Angelo Tasca, op cit.
15.
Antonio Gramsci. « La crise italienne ». L’Ordine Nuovo, 1er septembre 1924.
16.
Édifiante aussi, l’affiche du parti national-socialiste de 1934 « Guide, nous te suivons ».
17.
Vanina Giudicelli op cit.
18.
« Petits industriels, commerçants et rentiers, artisans… tout échelon inférieur des classes moyennes de jadis tombent dans le prolétariat » Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, 1848.
19.
Daniel Guérin, Fascisme et grand capital, Syllepse, phénix édition 1999, p 46.
20.
Alain Bihr, op cit p 157.
21.
Chris Harman, Une histoire populaire de l’humanité, La Découverte, 1999 p 526.
22.
Daniel Guérin décrit ainsi la situation des classes intermédiaires au lendemain de la première guerre mondiale, op cit p. 47.
23.
Daniel Guérin op cit p.79.
24.
Ibid p 80.
25.
Ibid.
26.
Vanina Giudiceli, op cit.
27.
Daniel Guérin, op cit p 45.
28.
Ibid p 43.
29.
Ernest Mandel, op cit p 40.
30.
Léon Trotsky, op cit p 111.
31.
Alain Bihr, op cit p.159.
32.
Ibid p 158.
33.
Ibid p 162.
34.
Ugo Palheta, La possibilité du fascisme, La Découverte, 2018.
35.
Alain Bihr, op cit p.162.

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Mis à jour le dimanche 24 mars 2024