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Sainte-Soline, témoignage sur une manifestation pas comme les autres.

Bien loin des manifestations fuxéennes, calmes et tranquilles, la megabassine de Sainte-Soline a été le théâtre de violences aveugles destinées à abîmer dans les corps et la psychologie d’un mouvement qui se sait légitime. Il ne fait aucun doute que les responsables au sens large de cette violence auront le temps de vivre les effets de leur bêtise. Huit hélicoptères, 3200 gendarmes, des blindés, des quads, des canons à eau, 4000 grenades utilisées, contrôles et confiscation abusive d’objets, des cris, des blessé.es, des ambulances qui n’arrivent pas, tout cela on a pu le lire dans bon nombres d’articles à condition de ne pas buguer devant BMF ou C news.
Dans ce récit, nous aimerions témoigner d’une autre réalité de ce mouvement de défense. Une facette positive qui laisse à penser que c’est bien un mouvement grandissant pour l’eau en tant que bien commun. Un mouvement qui se caractérise par une réelle conscience politique commune. Au moment même où on nous annonce une dépolitisation de la population, Sainte-Soline constitue un contre exemple vibrant.

Arrivée le vendredi en fin de journée sur la « base arrière » dont nous avions eu connaissance du lieu le matin même, nous découvrons un champ de tentes serrées les unes contes les autres. Une zone en mixité choisie, des chapiteaux qui abritent notamment l’info kiosque, une dizaine de toilettes sèches, et au loin les copains/copines qui s’en vont délivrer les tracteurs empêchés par les gendarmes de rejoindre le site. On retrouve les ami.es venu.es nombreu.ses. On sent déjà que nous ne seront pas seul.es demain.
La soirée est ponctuée de briefes. On nous distribue des flyers avec les numéros de la base juridique et des avocates. On nous acculture sur ce qu’il faut ou ne faut pas faire en cas de garde à vue. On nous donne les premières informations sur le déroulé du lendemain. Les organisateur.ices nous demandent de faire attention, exprimer sa colère oui mais on évite les insultes sexistes, homophobes, validistes. Pour ce soir, la consigne est claire, pas de sono, pas de bruit, il faut prendre des forces, nous en aurons besoin le lendemain.

Après une nuit pluvieuse, nous nous réveillons dans la boue. On replie la tente, et on file au briefe du matin. L’organisation est impressionnante. Très vite nous savons où aller et quoi faire en fonction de nos capacités et de nos envies militantes. Les conseils juridiques sont rappelés avant que les trois cortèges soient constitués. Nous serons derrière l’outarde canepetière, un oiseau emblématique de la zone car l’un des plus menacées des plaines cultivées de France. Un totem géant représentant l’animal est emmené par la foule qui s’élance en cortège. Il en sera de même pour les cortèges de la loutre et de l’anguille. Par endroits, le terrain est détrempé, nous n’aurons pas les pieds au sec très longtemps.
Régulièrement des appels « relai, relai pour l’outarde » se font entendre. On se presse pour participer au mouvement de l’oiseau. Un peu chaotique dans un premier temps, le portage s’organise petit à petit. Les basses de la sono font vibrer nos corps. Elle se fera entendre tout le long de la manifestation, même dans les moments les plus intenses. Nous avançons rapidement, trop rapidement même. De l’avant du cortège, la foule immense s’étale à perte de vue dans un paysage témoin d’une agriculture prédatrice, champs immenses entourés de trop rares haies. Une terre laissée à nu. Une performance toute relative car sous perfusion de l’agrochimie.
L’ambiance est bon enfant, festive, électrisante. Pour l’instant, à part les hélicoptères et quelques gendarmes montés au loin, nous n’avons pas croisé d’importants dispositifs policiers. On se demande où sont les 3200 gendarmes annoncés.
Après une pause et un ravitaillement de la cantine, nous repartons avec un objectif, non pas celui de détruire du flic comme le prétendent nos dirigeants, mais pour entrer dans la bassine et faire valoir l’eau en tant que bien commun.

Il nous faudra encore une bonne vingtaine de minutes de marche pour atteindre notre objectif. Ça y est, nous savons maintenant où sont les gendarmes, et surtout on voit se dresser devant nous un mur de terre de 10 mètres de haut qui délimite les 16 ha du site. C’est donc ça la mégabassine ! Pour sûr, ce n’est pas avec de l’eau de pluie qu’on remplit ce monstre.

La suite nous semble durer une fraction de seconde. Le cortège contourne la bassine et s’organise en une énorme chaîne humaine. Le jeu 1, 2, 3 bassine ne fait pas rire les gendarmes et les grenades lacrymogènes pleuvent. Il faut croire que les éléments sont avec nous car le vent pousse les gaz vers les RoboCops qui protègent ce trou béant. Auto géré, le cortège s’organise. Certain.es étouffent les lacrymos avec des touffes de blé. À notre droite, les explosions sont permanentes et une fumée noire s’élève dans le ciel. Nous pourrions être dans un film de guerre. Sur notre « front » aussi la violence des gendarmes redouble. Les tirs tendus de grenades, des explosions de plus en plus fortes se font entendre, on entend les premiers « médic !! », les premiers blessés sont pris en charge.
La sono résonne toujours. Les ravitos de gâteaux à la semoule et à la fleur d’oranger sont réguliers et réconfortants. Lorsque la pression des lacrymos est trop forte on s’éloigne avant de revenir remettre la pression. On se soutient, on se soigne, on s’échange du sérum phy ou du Malox, on fait attention les un.es aux autres, on ne maque pas de courage. Le totem de l’outarde tente des percées dans le dispositif policier. La dernière est violemment repoussée. D’un coup, on nous annonce un repli. Cela fait deux heures que nous sommes arrivés sur site.

Moment de flottement, on mange un peu, on retrouve les ami.es, on apprend que le nombre de blessé.es est important. Les sentiments sont partagés, on comprendra plus tard que les autres cortèges ont été plus durement touchés. Les secours sont saturés, on rentre à la base arrière.
Ce retour nous semble durer une éternité. On croise des batucadas et des fanfares qui peinent à effacer la tristesse et le désarroi sur les visages. Philippe Poutou est là avec d’autres élu.es venu.es nous soutenir. Il semblerait qu’ils/elles aient joué un rôle important pour débloquer l’arrivée des secours.
Enfin la base arrière ! On comprend mieux ce qu’il s’est passé. Si nous n’étions pas là pour casser du gendarme, les gendarmes eux étaient bien là pour casser du manifestant. L’ambiance tranche avec la bonhomie de la matinée.

Nous sommes maintenant attendus à MELLE pour « faire la fête » même si le cœur n’y est pas vraiment. Il nous faudra 2 heures pour faire la vingtaine de kilomètres nécessaires pour nous rendre sur zone. Dans la voiture, on lit la presse et les mensonges de Darmanin. Vingt-quatre flics blessés contre 7 manifestant tombés. La pilule a du mal à passer.
Cette fois-ci nous réussirons à déjouer les contrôles de police. MELLE ressemble à une ville de festival. Comme depuis la mise en place de la base arrière, les équipes de prévention des violences sexistes et sexuelles déambulent parmi les camarades, arborant leurs guirlandes multicolores. Encore une autre façon de prendre soin les un.es des autres. Un délicieux couscous végétarien à prix libre, une bière locale, et déjà la fatigue de la journée se fait sentir. On a l’impression de revenir d’une grosse journée en montagne. Minuit est à peine passé, on plante la tente sur le parking du Super U et sous la pluie. Nous n’avons jamais campé dans un emplacement aussi féerique.

Le dimanche matin, on remballe les affaires et on joue à cache cache avec les ondées comme nous avions tenté de le faire avec les gendarmes. La cantine qui vient d’ouvrir nous propose un succulent petit déjeuné fait de produits locaux. Cela tranche avec ce que l’on peut voir dans certains événements anticapitalistes où les buffets sont jonchés de denrées industrielles sur-emballées. Ici la lutte est cohérente jusqu’au bout des ongles. L’ambiance est aux nouvelles. Les hélicoptères de la gendarmerie passent à intervalles réguliers et à basse altitude comme pour nous rappeler qu’ils sont toujours là.

À peine a-t-on amorcé le trajet du retour qu’un nouveau contrôle de gendarmerie se profile. On vous passe les détails mais c’est une nouvelle démonstration de la médiocrité intellectuelle de nos forces de gendarmerie. Ils/elles fuirons lorsque nous passerons en mode contre attaque en appelant la base arrière juridique, en relevant les plaques d’immatriculation de leurs véhicules, ainsi que leurs matricules manquants.

Bref, on retiendra qu’à Sainte-Soline, plus de 30 000 personnes se sont rassemblées pour défendre un bien commun avec une cohérence propre aux convergences entre luttes sociales et environnementales. Différentes formes de militantisme se sont côtoyées, s’estimant les unes les autres. Une leçon de démocratie à faire pâlir n’importe laquelle de nos élections.
C’est à Sainte-Soline que la question de l’eau s’est imposée comme une évidence. Espérons que nous saurons contraindre celles et ceux qui ne veulent pas l’entendre et à défaut que ces personnes seront les premières à en pâtir.

Deux militants du NPA-Ariège

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Mis à jour le dimanche 21 avril 2024