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Madrid, première capitale européenne à auditer sa dette

http://cadtm.org/Madrid-premiere-capitale
28 septembre par Virginie de Romanet

Le geste est novateur, le 27 août 2015, la capitale espagnole, par la voix de son conseiller municipal en charge de l’Economie et des Finances, Carlos Sánchez Mato, a annoncé le lancement d’un processus d’audit destiné à faire la lumière sur la manière dont la dette a augmenté considérablement au cours de la dernière décennie.

En mai 2011, la Puerta del Sol, en plein centre de Madrid, voit converger tous les regards et les espoirs suite à l’irruption inattendue du mouvement des Indignados, aussi connu en Espagne comme « Movimiento 15M » |1| qui marque une volonté de réappropriation de la politique après plusieurs années de mesures d’austérité d’abord impulsées par le PSOE (le parti socialiste espagnol) suite à la crise financière de 2008.

Le « movimiento 15 M » a donné lieu à une floraison d’initiatives critiques œuvrant à la transformation de la situation socio-économique du pays. Alors que l’État espagnol a consacré plus de 60 milliards d’euros à sauver des banques responsables de leur situation, en raison de spéculations inconsidérées, il abandonne les plus vulnérables. Notamment ceux qui s’étaient endettés pour acquérir leur logement principal et qui, en raison de la crise, ne sont plus en mesure de rembourser leur emprunt. Ils se voient non seulement expulsés, la banque récupérant leur bien, mais restent par dessus tout redevables de cette dette qui n’a pourtant plus lieu d’être. Cette situation inique a donné naissance à la Plateforme des affectés par les hypothèques (PAH) qui lutte pour contrer ce mouvement massif d’expulsions et pour le droit à un logement digne. Parallèlement à cette initiative s’est constituée la Plateforme d’audit citoyen de la dette (PACD) qui a popularisé l’intérêt de la démarche d’audits populaires. Les élections de mai dernier ont vu l’émergence de représentants du mouvement social qui ont, entre autres, gagné les municipalités des deux principales villes du pays, Madrid et Barcelone. L’élection de Manuela Carmena, ex-juge luttant contre la corruption, représentante de la nouvelle force politique « Ahora Madrid » (Madrid maintenant), marque une rupture avec l’administration précédente du Parti Populaire (le principal parti de droite) qui a, entre autres, fait fortement augmenter la dette.

Des collectivités territoriales affectées par la dette

Le système dette n’affecte pas seulement le niveau de pouvoir le plus important qu’est le niveau national ou fédéral mais il a des répercussions au niveau des échelons de pouvoir inférieur. Avec une hausse des montants consacrés au service de la dette, l’État central a moins de moyens pour des politiques nationales et cela se répercute également au niveau des régions et des communes. En France, le processus de décentralisation qui a été présenté comme une avancée démocratique avec plus de pouvoir accordé aux régions et communes - échelon de pouvoir plus proche des citoyens - ne l’a été que tout à fait partiellement car ces dernières se sont vues reconnaître de nouvelles attributions sans pour autant bénéficier des moyens financiers qui devraient leur permettre de les mener à bien.

En France, comme Patrick Saurin en a fait la démonstration dans son ouvrage « Les prêts toxiques. Une affaire d’Etat. Comment les banques financent les collectivités locales », le surcoût des manipulations bancaires spéculatives pour les collectivités territoriales représente plus d’un milliard d’euros par an.

Alors que Madrid, avec ses 3,165 millions d’habitants, représente moins de 7% du total de la population du pays, sa dette s’est élevée à plus de 17% des dettes de toutes les municipalités |2|. Elle est en effet passée de 1,45 milliards en 2003 à près de 6 milliards en 2015 (42% du total de la dette de toutes les capitales des 50 provinces espagnoles) et le service de la dette a presque triplé entre 2011 et 2014, passant de 523 millions à 1,49 milliards d’euros. Un tel endettement nous laisserait croire que les conditions de vie y sont meilleures qu’ailleurs et qu’elles ont connues une amélioration sensible...

Dans une étude sur le sujet, le conseiller Sánchez Mato montre qu’alors que les dotations aux différents quartiers ont diminué en l’espace de 4 ans de 98 millions, le service de la dette a, lui, augmenté de plus de 1,1 milliard d’euros. Le montant affecté aux quartiers sur les 5 derniers exercices est monté à 2,6 milliards alors que le coût du service de la dette a été bien plus élevé avec 4,8 milliards d’euros |3|.

Des grands projets d’une utilité contestable

Les grands travaux d’infrastructures - qui ne sont pas toujours nécessaires à la population et parfois nuisibles à l’environnement et entachés de corruption - représentent un facteur important de l’accroissement de l’endettement. Des surcoûts par rapport à un budget initial peuvent être acceptables, car des complications peuvent se présenter en cours de route mais de là à augmenter 5, ou 6 fois le montant prévu, il y a un gouffre qui sert la dette et la corruption. Il s’agit de montants qui servent aux entreprises de bâtiment et travaux publics, ainsi qu’à payer les intérêts de la dette avec des commissions pour les responsables en place. Il est bien évident qu’il s’agit là de dettes illégitimes dont la majorité de la population n’a pas profité et qui ne doivent donc pas être remboursées.

Comment expliquer une multiplication par près de 4 du coût du projet Calle M-30 concernant le périphérique autoroutier entre 2004 et 2014 |4|, par près de 5 la réalisation d’un parc aquatique |5|, par plus de 13 fois la rénovation du Palacio Cibeles, siège de la municipalité de Madrid si ce n’est pour l’intérêt des banques, des sociétés privées de travaux publics et de commissions à ceux qui décident ces projets. Tous cela porte préjudice à la majorité de la population et tout particulièrement à celles et ceux d’en bas, ce qui donne lieu à un manque de logements sociaux de qualité |6|, de logements subventionnés accessibles à l’achat pour des ménages à faibles revenus, de la hausse du coût des soins de santé à la charge des patients, etc. Les mesures d’austérité ont également concerné les emplois publics de la ville puisqu’en 2014, 281 employés municipaux ont perdu leur emploi, et si on compare avec 2009, on compte 2445 emplois en moins |7|.

L’effet boule de neige joue un rôle fondamental et la corruption dans nombre de collectivités territoriales et grandes villes a aussi un impact. La conséquence : une baisse ou une absence de progression des dépenses sociales et le recours à des partenariats publics-privés qui, in fine entraînent des surcoûts conséquents. Sánchez Mato en donne des exemples flagrants. Pour remporter un marché public d’entretien des voiries et parcs, le consortium qui a remporté le marché avait baissé son prix de 33 % mais cela n’a pas pu se faire sans conséquence puisque cela a entraîné une diminution des effectifs de 1400 personnes sur 6000. En plus de la perte de salaire que cela entraîne pour les personnes licenciées, et de négliger le travail à fournir (avec 1400 personnes de moins, il est impossible de fournir le même travail) le coût retombe sur la collectivité qui finance les allocations de chômage. Par contre, il est probable que et les salaires de leurs dirigeants et les dividendes des actionnaires de ces entreprises - si actionnaires il y a - ne connaîtront eux pas de baisse !

L’importance des partenariats public-privé (PPP) et autres formes de privatisation rampante

Tant au niveau des États qu’aux échelons inférieurs du pouvoir, il n’est pas rare que les pouvoirs publics propriétaires de bâtiments fonctionnels les vendent dans une visée budgétaire de court terme pour les louer ensuite. Le montant qu’ils ont obtenu de la vente est généralement bien inférieur à ce qu’ils vont devoir débourser pour la location. Les gagnants de l’opération sont bien sûr ceux qui achètent à une valeur inférieure au prix du marché et les sociétés immobilières et propriétaires qui louent aux pouvoirs publics, dont les pertes retombent sur la majorité de la population. A Madrid, ce sont plus de 50 millions d’euros qui étaient payés au titre de loyers alors que de nombreux bâtiments étaient sous-utilisés |8|. Ce phénomène devient de plus en plus répandu dans les grandes (mais aussi plus petites) villes dans de nombreux pays. En dehors de bâtiments administratifs, d’autres secteurs comme les hôpitaux publics sont également concernés. Et le constat est chaque fois le même, ils sont bien plus coûteux que des postes publics et ne profitent qu’à une poignée de très grandes entreprises qui verrouillent les contrats sur de longues périodes en imposant de lourdes pénalités en cas de rupture anticipée.

La question clé est bien sûr celle de l’illégitimité d’une partie de la dette qui ne sert pas les fins qui devraient être les siennes même si elle peut être considérée comme « soutenable » du point de vue macro-économique. En effet, avec un même montant une entité publique peut choisir de faire des projets qui bénéficient à la majorité de la population avec un accent particulier pour les moins bien lotis, ou alors des projets qui bénéficient aux promoteurs par des coûts exorbitants et aux créanciers par des taux d’intérêt abusifs. Le graphique suivant illustre ce déséquilibre au dépend de la population.

Alors que le service de la dette sur la période a englouti 4,42 milliards d’euros, les dépenses liées à la promotion et protection sociale n’ont, elles, représenté que 1,1 milliard d’euros soit 4 fois moins. Et pourtant le discours véhiculé par les médias est généralement le même : « nous avons vécu au dessus de nos moyens » ; « on a trop dépensé, il faut se serrer la ceinture ». Jamais on n’entend parler du service de la dette comme la première dépense celle qui entretient et aggrave les déficits publics créés par des cadeaux fiscaux et des dépenses inappropriées dont la majorité des citoyens n’est nullement responsable. Les projets utiles destinés à bénéficier à la majorité de la population sont généralement beaucoup moins coûteux et le bénéfice social peut être réellement constaté.

Tous ceux qui bénéficient et alimentent ce système d’endettement sont totalement opposés à la réalisation d’audits car ils savent pertinemment |9| que dans tous les cas l’audit démontrera qu’une partie non négligeable (généralement supérieure à 50 % de la dette) n’a pas servi les intérêts de la population est de ce fait illégitime et devrait être annulée ou répudiée. L’annonce de l’organisation d’un audit a ainsi donné lieu à la dégradation de la note de la dette de Madrid par l’agence de notation Standard & Poors |10|. L’argument portant sur le fait que les mandataires politiques sont élus et que de ce fait les engagements financiers qu’ils prennent doivent être respectés peut et doit être mis en question. La Déclaration universelle des droits de l’homme reconnait à toute personne le droit de s’impliquer dans les affaires publiques |11| comme le prévoient également différentes Constitutions.

L’audit de Madrid pourrait représenter un sérieux pas en avant à deux conditions : que la participation citoyenne soit réellement effective et donne lieu à une large mobilisation sociale, à la suite de la communication des résultats de l’audit et que la maire et ceux de son équipe issus du mouvement social aient clairement en tête la perspective de répudier la part de la dette dont l’audit aura démontré le caractère illégitime.

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Mis à jour le dimanche 24 mars 2024