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Syriza jusqu’au bout de l’abject

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Photo : Theodoros Karyotis. Face à la pelleteuse détruisant le squat Orfanotrofeio (Orphelinat) hier après-midi, un graffiti semble hurler dans les ruines : « NO MASTER ! »

by Yannis Youlountas · 28/07/2016

Un an après la capitulation de Tsipras, ce qui subsiste de son parti n’est plus qu’une machine à collaborer, à mentir et à frapper dans le dos. Nous venons d’en faire à nouveau l’expérience.

Nous l’avions diversement remarqué ces derniers jours, le gouvernement Tsipras observait d’un mauvais œil le « No border camp » à Thessalonique, ses débats avec plus de 2000 participants venus de toute l’Europe, ses manifestations dans les rues de la ville et au-delà, et ses actions de soutien aux migrants et aux réfugiés. Le plus inacceptable était manifestement l’ouverture d’un squat supplémentaire pour les accueillir, en protestation contre l’accord Union européenne-Turquie et ses conséquences en matière de renforcement des arrestations, déportations, détentions et expulsions.

Attendant son heure, le gouvernement Tsipras n’avait quasiment pas réagit ou très peu durant la semaine : juste quelques contrôles d’identité, une poignée d’affrontements avec leur lot habituel de coups de matraques, de provocations policières et de gaz lacrymogènes. Bof, la routine.

Mais sitôt l’événement terminé et la plupart des participants partis, la vengeance, lâche et brutale, n’a pas tardé. Et cette vengeance s’est abattue principalement sur les familles de réfugiés, alors que beaucoup moins de monde pouvait les défendre. Tsipras, tel qu’en lui-même depuis un an : faible avec les forts, fort avec les faibles, et surtout, particulièrement fourbe, hypocrite et bonimenteur.

Hier matin, c’est non seulement le nouveau squat, ouvert durant l’événement, mais aussi deux autres, plus anciens, qui ont été attaqués. Même le célèbre squat Nikis, l’un des bastions de la résistance dans la ville, occupé par des membres du mouvement anti-autoritaire pour la démocratie directe (AK) depuis décembre 2008, a été expulsé violemment, à la surprise générale, alors qu’il n’avait jamais été menacé sous la droite au pouvoir !

Durant ces trois expulsions simultanées, les envoyés du gouvernement en ont également profité pour déporter en centres de détention de nombreuses familles de réfugiés qui ne demandaient rien à personne, qui avaient tissé des liens avec la population locale et dont les enfants participaient à un projet d’éducation coopérative et anti-autoritaire en partenariat avec l’espace social libre Mikropolis.

Parallèlement plus d’une centaine de militants ont été interpellés et 74 d’entre eux ont passé la nuit en prison, en attendant un procès qui devait se tenir aujourd’hui.

Quelques minutes plus tard, une pelleteuse sous escorte policière venait détruire, sans même attendre le procès, le squat Ορφανοτροφείο(Orphelinat), laissant sous les décombres une grande quantité de matériel médical envoyé via plusieurs réseaux de solidarité, des stocks de nourriture complètement détruits, mais aussi tous les vêtements et effets personnels des réfugiés, y compris la plupart des jouets d’enfants. Des enfants déjà choqués par le désastre de la guerre et qui n’imaginaient pas subir un tel fracas, un telle brutalité et une nouvelle destruction de leurs affaires dans une ville de Grèce. Un bombardement de plus :

La riposte n’allait pas tarder : une trentaine de camarades et compagnons de luttes se regroupaient discrètement et parvenaient à occuper le siège de SYRIZA Thessalonique, tenant bon toute la nuit, barricadés dans les locaux, déployant une banderole au balcon et jetant des tracts aux passants, puis aux manifestants venus les rejoindre autour du bâtiment, malgré le verrouillage du quartier par les MAT (CRS).

Ailleurs en Grèce, d’autres sièges de SYRIZA allaient également être pris d’assaut et occupés. Par exemple à Larissa, situé 150km plus au sud.

Dès lors, devant le tollé dans la population, le savoir-faire de SYRIZA en matière de mensonge surgit avec ses méthodes habituelles : créer de la confusion et invoquer une diversité d’opinions au sein du parti (rôle que jouent également certains membres du PS en France, sans jamais quitter ce parti malgré son passif). SYRIZA Thessalonique, privé de son local, publia rapidement un communiqué fallacieux dicté par la direction nationale du parti (présidé par Tsipras lui-même). Le communiqué prétendait que « SYRIZA [n’était] pas d’accord avec les expulsions » et n’était « en rien responsable d’agissements qui n’avaient rien à voir avec les principes et valeurs de la gauche ». La bonne blague ! Et qui sont les deux ministres responsables du dossier ? Le ministre de l’intérieur : Panayótis Kouroumblís (membre éminent de SYRIZA, proche de Tsipras et ancien cadre du PASOK), et le ministre de l’ordre public et de la protection des citoyens : Nikos Toskas (également membre éminent de SYRIZA, proche de Tsipras et ancien général de l’armée grecque). De qui se moque SYRIZA ? L’autre argument avancé est le problème des conditions sanitaires, évoqué dans un rapport tendancieux du KEELPNO, un organisme croupion également contrôlé par SYRIZA. Là encore, c’est abject quand on sait l’horreur sanitaire des camps de détention en Grèce et les traitements infligés par la police grecque et les polices européennes détachées (dont 300 policiers français actuellement en Grèce). Mais, par contre, le KEELPNO n’en parle jamais, laissant mourir de maladie des dizaines de personnes depuis des mois, au prétexte de l’accord Union européenne-Turquie !

Les camps de détention en Grèce sont une honte pour l’Etat grec et pour l’Europe toute entière.
Et c’est nous (le mouvement social en Grèce et la solidarité internationale) qui ne cessons d’agir contre ces conditions d’accueil indignes, à l’inverse des autorités grecques. Par exemple à Idomeni, avec les réseaux de Thessalonique, notamment l’extraordinaire Mikropolis. Ou encore à Notara26, avec nos camarades d’Exarcheia.

Alors, où est le véritable problème sanitaire ? Dans les squats solidaires et fraternels ou dans les camps de détention sordides ?

Ce matin, le rassemblement de protestation, autour et dans le tribunal de Thessalonique, a tellement été suivi que les juges ont du essayer de calmer le jeu. Devant l’énorme pression populaire, le procès d’une partie des personnes arrêtées a finalement été reporté (3-5 août), au prétexte du manque d’interprètes pour communiquer avec certains inculpés ne parlant pas ou peu le grec. Vers 17h30, est finalement tombé le jugement des autres, avec 6 condamnations à quatre mois de prison avec sursis. Donc tout le monde est ressorti libre du tribunal, rejoignant un grand rassemblement qui devait commencer à 19h. Par contre, il y aura probablement de lourdes amendes et, surtout, des dommages et intérêts pour des pseudo-dégradations du bien public (totalement absurdes vu que les lieux ont, au contraire, été réparés et très bien entretenus alors qu’ils étaient en piteux état).

Parallèlement, plusieurs rassemblements viennent de commencer ailleurs en Grèce, notamment à Athènes, où une grande manif se déroule depuis 18h au départ des Propylées (à mi-chemin entre Exarcheia et le parlement). L’ambiance est chaude également.

Ce qui vient de se passer à Thessalonique est une nouvelle déclaration de guerre de Tsipras au mouvement social en Grèce, qui est à rapprocher, par exemple, de l’instrumentalisation de la drogue à deux euros et de la protection policière de certains dealers à l’ouest d’Exarcheia, de l’autre côté de l’Ecole polytechnique (provoquant de nombreuses violences récemment et l’assassinat d’un caïd de la drogue par un groupe anarchiste, après qu’il ait blessé et menacé à plusieurs reprises de nombreux habitants du quartier). Un peu partout, le pouvoir cherche à semer la confusion et à affaiblir tous ceux qui lui résistent, dénoncent ses turpitudes, combattent sa politique et proposent des alternatives concrètes.

Le mouvement anti-autoritaire pour la démocratie directe (AK), directement visé par les attaques d’hier, avait très bien anticipé puis analysé la dérive de Syriza dans un texte du 5 août 2015, avec pour titre : « SYRIZA était le parti de la défaite du mouvement [social] ».

De mon côté, le 22 juillet 2015, j’avais écrit un petit texte, faisant le parallèle entre l’élimination politique du OXI en Grèce et la tentative d’élimination physique de l’utopie de Rojava en Turquie et en Syrie au même moment : « L’été meurtrier des utopies bafouées. »
Il y a un an déjà, les utopies au sud-est de l’Europe étaient diversement menacées, attaquées, bâillonnées.

Hier matin encore, au moment même où la police de Tsipras attaquait les squats de Thessalonique, une attentat causait la mort de dizaines de personnes au Rojava. Sans faire de lien direct entre ces deux actes, ils ont la même signification dans une même temporalité : contenir l’utopie, une utopie qui grandit malgré tout.

Du Chiapas au Rojava et de Notre-Dame-des-Landes à Thessalonique, d’une façon ou d’une autre, c’est le même désir de changer le monde. C’est la même volonté de tenir bon malgré les épreuves. C’est la même certitude qu’il est urgent de rompre avec la société autoritaire et d’essayer autre chose.

Sortir de la préhistoire politique en prenant nos vies en mains.

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Mis à jour le dimanche 8 décembre 2024