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Un microbiologiste en Pennsylvanie, 5 mars 2020. © governortomwolf / Wikicommons
Le degré de dangerosité de l’épidémie est source de controverse parmi les scientifiques. Mais le gouvernement, lui, s’est fait une certitude : le virus ne doit pas menacer outre mesure la poursuite de l’activité des capitalistes et l’accumulation des profits, quitte à piétiner les droits des salariéEs ou à les exposer à des risques pour leur santé.
Muriel Pénicaud et Bruno le Maire ont ainsi annoncé le 9 mars que le recours à « l’activité partielle » (ou chômage partiel) serait facilité. Le dispositif permet à l’entreprise de réduire ou d’arrêter temporairement tout ou partie de ses activités. Elle reçoit alors une allocation cofinancée par l’État et l’Unedic. Les perdantEs de l’affaire sont les salariéEs, qui vont certes percevoir une indemnité en compensation des heures non travaillées et non payées, mais dont le montant est inférieur de plus de 15% à leur salaire habituel ! Plusieurs milliers d’entreprises pourraient mettre en place ce dispositif dans les semaines à venir. Le coût en sera bien entendu supporté par nos impôts et nos cotisations.
Des aides pour les patrons, plus de travail pour les salariéEs
À côté de cette forme de socialisation des pertes, existe une possibilité pour les patrons de forcer leurs salariéEs à travailler de leur domicile. Ainsi le Code du travail prévoit qu’en cas de menace d’épidémie, la mise en œuvre du télétravail, qui d’ordinaire requiert l’accord du salariéE, puisse être considérée comme « un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés. » Dans son questions/réponses publié le 28 février, le Ministère du travail incite fortement les employeurs à y avoir recours. Et les salariéEs qui refuseraient de télétravailler dans ces conditions s’exposeraient à des sanctions disciplinaires. Quid de celles et ceux dont la situation personnelle ne le leur permet pas ? Le gouvernement n’en dit mot.
Pour attentatoire aux intérêts des travailleurs/ses qu’elles soient, ces mesures sont en conformité avec le droit capitaliste du travail. Mais ça n’est pas suffisant pour ce gouvernement pro-business, et le Ministère du travail n’hésite pas à tordre grossièrement les textes, en faveur des patrons bien sûr.
Le droit de retrait remis en cause
Le même questions/réponses indique ainsi que « Les conditions d’exercice du droit de retrait ne sont pas réunies, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, si l’employeur met en œuvre les recommandations du gouvernement, disponibles et actualisées sur la page suivante : https://www.gouvernement.fr/info-coronav... ».
Après ses déclarations contre le droit de retrait des cheminotEs suite à l’accident ferroviaire grave de l’automne dernier Pénicaud récidive et s’improvise juge, alors qu’il n’appartient évidemment pas au gouvernement de statuer sur la validité des droits de retrait. Et ses directeurs régionaux demandent aux agentEs de l’Inspection du travail d’aller relayer la bonne parole gouvernementale dans les entreprises. Mais ce qu’écrit le ministère est particulièrement absurde : le droit de retrait est fondé dès lors qu’unE salariéE a un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Cette appréciation dépend évidemment de la situation précise et particulière dans laquelle est placée la personne, de son état de santé, etc. Elle ne peut en aucun cas se faire de manière générale, à l’aune du respect ou non des préconisations gouvernementales. Il faut par ailleurs souligner que ce que le juge apprécie en cas de litige est la bonne foi du salarié – « l’existence d’un motif raisonnable de penser ». Et dans les circonstances actuelles, compte tenu des controverses sur la mortalité du virus, des mesures drastiques adoptées par des Etats voisins, on voit mal comment unE salariéE, qui plus est si d’autres travailleurs/ses de son entreprise ont été infectéEs ou s’il/elle est particulièrement vulnérable, serait de mauvaise foi en estimant qu’il existe un risque grave et imminent pour sa santé.
Des déplacements arbitraires de congés
Comme si cela n’était pas suffisant, le gouvernement incite enfin les patrons à prendre illégalement sur les congés des salarié-e-s pour couvrir les périodes de quarantaine. Le Ministère du travail écrit ainsi que « l’employeur peut déplacer des congés déjà posés par le salarié sur une autre période à venir pour couvrir la période de 14 jours, compte tenu des circonstances exceptionnelles ». Outre que la notion « de pose des congés » n’existe pas en Droit du travail – c’est l’employeur qui fixe les dates après consultation des représentants du personnel – cette sentence ignore complètement que l’objet des congés payés, tel que prévu par le droit européen, est d’assurer un repos aux salariés et non de limiter la propagation d’une épidémie ! Elle évacue également le fait que les patrons ne peuvent fixer les congés qu’à l’intérieur d’une certaine période qui doit être annoncée au moins deux mois avant son ouverture et s’étale généralement de mai à octobre.
Il existe pourtant un texte qui traite de cette question, à savoir le décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020, qui précise que les personnes bloquéEs à leur domicile car susceptibles de développer la maladie en question sont arrêtées pendant un maximum de 20 jours par un médecin de l’agence régionale de santé (A.R.S.) et touchent les indemnités de Sécurité sociale sans délai de carence. Ces indemnités sont certes inférieures au salaire normalement perçu, mais préférables au vol de congés payés !
Que la crise soit économique, climatique, ou sanitaire, la facture est toujours présentée aux travailleurs/ses. Les organisations syndicales doivent sans tarder prendre en charge cette question à tous les niveaux et s’opposer fermement aux restrictions des droits des salariéEs prises au nom de l’épidémie, d’autant qu’elles risquent fort de se multiplier dans les semaines à venir.
CorrespondantEs Inspection du travail