Dans cette analyse, Éric Meunier revient sur la politique agricole, qui sous couvert d’agroécologie, est en fait au service des industriels des OGM. L’agriculture PS c’est une agriculture sans paysans où le bio sert de caution verte à une politique d’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage.
Agriculture - Innovation 2025 : des OGM dans l’agro-écologie ?
Le gouvernement français a lancé, en février 2015, le plan « Agriculture – Innovation 2025 ». Objectif de ce plan : « permettre aux agriculteurs de disposer de tous les outils pour répondre à la nécessaire prise en compte des impératifs environnementaux tout en améliorant leur compétitivité » [1]. Alors que le débat sur les OGM se concentre de plus en plus sur la question des nouvelles techniques de biotechnologie, ce plan vise à réfléchir au contexte général de l’innovation en agriculture. Mais de quelle innovation parle-t-on concrètement ? Et pour quelle agriculture ?
Début 2015, le Président de la République, François Hollande, s’est déclaré favorable à ce que la France poursuive « son effort de recherche publique sur les biotechnologies, ce qui suppose que les chercheurs français puissent faire leur travail en toute sérénité et conserver une expertise sur ces technologies » [2]. Une déclaration qui, selon le Nouvel Observateur, avait été anticipée lors de « la clôture du Forum sur l’agriculture et les changements climatiques, un forum organisé par [la] FNSEA, mais aussi par le Groupement National Interprofessionnel des Semences et plants (GNIS) qui regroupe les semenciers producteurs d’OGM comme Monsanto, Syngenta, Limagrain ou Bayer »… [3]. De son côté, le Premier ministre Manuel Valls affirmait au Congrès de la FNSEA en mars 2015 qu’il fallait « laisser […] les chercheurs chercher ! », considérant que « les biotechnologies sont incontournables » [4]. Et si Stéphane Le Foll continue de défendre le moratoire sur le maïs transgénique Mon810, il n’a jamais fermé la porte aux biotechnologies végétales. En février 2014, il annonçait ainsi souhaiter que les OGM de deuxième génération, comme le riz doré, dont la mise au point remonte, faut-il le rappeler, au début des années 2000, fassent l’objet d’un « vrai débat qui méritera d’être organisé ». Enfin, Mme Fioraso, alors qu’elle était députée, définissait en 2011 la biologie de synthèse comme visant à « la modification rationnelle et maîtrisée du vivant » [5], et recommandait, entre autres, d’identifier « les biotechnologies et, singulièrement, la biologie de synthèse, comme stratégiques pour la science - recherche fondamentale comme appliquée - la formation, la technologie, les applications industrielles et de services » [6]. Autant de déclarations qui donnent une idée de ce qu’est l’innovation en agriculture pour le gouvernement.
Une mission « ouverte » sur l’innovation
Afin de donner corps à ces annonces, les ministres de l’Agriculture (Stéphane Le Foll), de l’Éducation nationale (Najat Vallaud-Belkacem) et la secrétaire d’État chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Geneviève Fioraso) ont chargé, le 23 février 2015, cinq personnalités de rédiger un rapport sur l’innovation en agriculture pour septembre 2015 : Pierre Pringuet, président du Conseil d’administration d’Agroparistech, François Houllier, PDG de l’Inra, Jean-Marc Bournigal, président de l’IRSTEA, Marie-Noëlle Semeria, directrice du laboratoire CEA-Leti et Philippe Lecouvey, directeur de l’ACTA. Le gouvernement leur demande d’identifier « les modalités de mobilisation des établissements et des dispositifs de recherche et de développement ainsi que les actions à mettre en œuvre notamment dans les domaines de l’agro-écologie, du biocontrôle, des agroéquipements, du développement de l’agriculture numérique et de la bioéconomie ». Une liste qui reprend, quasiment au mot près, celle énoncée par le Président de la République lorsqu’il définit que « l’agriculture de demain, c’est l’agro-écologie qui va mobiliser aussi bien l’agronomie que la robotique, le bio-contrôle, les biotechnologies et le numérique ».
Cyril Kao, sous-directeur de la recherche, de l’innovation et des coopérations internationales au ministère de l’Agriculture précise à Inf’OGM que cette mission doit donner plus de visibilité aux questions d’innovation en agriculture, notamment pour tout ce qui relève de la recherche appliquée. Les personnes missionnées sont « libres de leurs initiatives » considérant que le travail envisagé « doit être le plus ouvert possible ». Les techniques de biotechnologies devront idéalement être abordées « dans leur diversité », sous l’angle de leur « utilisation par la recherche publique ». Un angle qui explique, selon Cyril Kao, que le ministère de l’Environnement ne soit pas dans la liste des ministères à la base de cette mission, mais « dont les services seront bien sûr associés via des experts ou des travaux dédiés ».
Le choix des personnalités en dit long sur la vision défendue par les ministères de tutelle. Ainsi, Pierre Pringuet, actuel président d’AgroParisTech, est membre du Conseil d’Administration du groupe Avril (anciennement Sofiprotéol), acteur dominant en France des filières de protéagineux et oléagineux et dont le Président, Xavier Beulin, est également président de la FNSEA et vice-président du COPA (syndicat européen d’agriculteurs) [7]
. François Houllier avait, en mai 2014, réagi à la relaxe des Faucheurs volontaires dans le procès qui les opposait à l’Inra suite au fauchage des parcelles expérimentales de vignes transgéniques à Colmar et déclaré que la recherche publique avait été « vandalisée ou bridée et [qu’] elle ne [pouvait] produire les connaissances qui sont attendues de sa part, notamment en appui à l’expertise publique sur ces mêmes technologies ». Il posait alors la question de savoir quoi faire pour « sortir des violences illégales, de la destruction de biens publics financés par l’impôt et de cette paralysie de la recherche publique sur les OGM » [8]. Jean-Pierre Bournigal, ancien directeur de la DGAl, ancien directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire [9], s’était également exprimé suite à la relaxe des faucheurs volontaires en co-signant une tribune le 20 mai 2014 [10]. Dans cette tribune, M. Bournigal affirmait s’inquiéter que « la protection juridique des installations de recherche dédiées à l’expérimentation dans des conditions encadrées [ne soit] plus assurée », et posait la question de savoir s’il fallait renoncer « à conduire désormais des expérimentations sur des sujets sociétaux à forts enjeux parce qu’ils font l’objet de controverses ». Enfin, Marie-Noëlle Semeria, directrice du laboratoire CEA-Leti, est à la tête d’une structure qui « concentre son activité sur les micro et nano technologies et leurs applications aux systèmes et composants de communication sans fil, à la biologie et la santé, à l’imagerie, et aux Micro-Nano Systèmes (MNS) » [11]. Une structure qui annonce contribuer « à renforcer la compétitivité de ses partenaires industriels [et disposer] d’un portefeuille de 2 800 brevets »…
Qui dit recherche dit nouvelles techniques de biotechnologie et essais en champs
Qu’attendre donc de ce rapport et quelles agricultures sont concernées par le terme innovation ? L’agriculture industrielle, paysanne, biologique ? François Hollande précisait que « l’objectif est d’intégrer les avancées de la science dans le travail agricole », une science qui navigue entre robotique, numérique et biotechnologie, une science que les paysans ne pourront pas maîtriser et qu’on leur imposera, une science qui permettra de légitimer des brevets sur le vivants… Les modèles d’agricultures paysanne et biologique apparaissent dès lors peu concernés. Et, à l’instar de l’agriculture raisonnée, de la révolution doublement verte, de l’Open AfriFood promue par la FNSEA [12] et autres faux nez de l’industrie, l’agro-écologie telle que définie par le Président de la République se situera dans la continuité paradigmatique de l’agriculture productiviste.
Il est dès lors légitime de penser que les nouvelles techniques de biotechnologies feront partie des sujets abordés, ce que François Houllier nous a effectivement confirmé. Ce dernier a précisé à Inf’OGM que lui et les quatre autres personnalités missionnées ont prévu de solliciter sur le sujet des biotechnologies le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) dans les prochaines semaines et « d’autres acteurs et parties prenantes (recherche publique, R&D [Recherche et Développement], développement, entreprises, associations, monde agricole, porteurs d’enjeux [sic], institutions publiques…) ». Mais pour Christine Noiville, présidente du HCB, qui répondait à Inf’OGM, « le HCB n’a pas le temps de rendre un avis dans le délai imparti, à savoir d’ici fin août. Le HCB communiquera donc une note qui listera des éléments d’informations : d’une part un état des lieux des techniques, leurs utilisations, les plantes concernées, les caractéristiques recherchées…, élaboré par le Comité scientifique ; et, d’autre part, une liste de questions que ces nouvelles techniques de biotechnologie soulèvent aux yeux des parties prenantes, élaborée par le Comité éthique, économique et social ».
Pour le HCB, cette note pourrait être le point de départ d’un travail plus poussé au sein du HCB sur la question des nouvelles techniques de biotechnologie. Et il appartiendra au HCB de décider s’il souhaite rendre cette note, destinée aux personnalités missionnées, publique ou non. A noter dès à présent que le HCB a également prévu de plancher sur la question des essais en champs d’OGM. Ce point, avec celui des techniques de biotechnologie, a, selon Christine Noiville, été spécifiquement soulevé par les cinq personnalités dans leurs demandes au HCB.
Comment comprendre ce travail alors que la Commission européenne devrait prochainement revenir vers les États membres avec une proposition sur le statut OGM ou non OGM des produits obtenus par ces nouvelles techniques de biotechnologie ?
Pour le ministère de l’Agriculture, le rapport « Agriculture - innovation 2025 » n’a pas pour vocation d’apporter une réponse réglementaire au statut OGM ou non OGM des produits issus des nouvelles techniques de biotechnologie mais de réfléchir à la pertinence et aux capacités d’innovations en agriculture, en termes de recherche appliquée. Les entreprises se sont pourtant d’ores et déjà plaintes des contraintes excessives que la législation sur les OGM représentait, autant pour la mise en œuvre d’essais en champs que pour les perspectives commerciales. Quelle sera la position des personnalités missionnées ? Réponse en septembre 2015. Mais du côté de l’Élysée, les choses sont d’ores et déjà claires : « il y aura un nouveau volet dans la politique agricole : il portera sur la recherche et le développement des nouvelles technologies ». Une approche qui rappelle celle promue au sein des Nations unies pour lutter contre les changements climatiques : l’agriculture « intelligente » [13].
Et l’agriculture biologique, et l’agriculture paysanne ? Elles ne semblent pas être au programme malgré l’ambition affichée du gouvernement de permettre aux « agriculteurs de disposer de tous les outils pour répondre à la nécessaire prise en compte des impératifs environnementaux »… Le gouvernement français aurait pu choisir d’intégrer également des recherches participatives mises en œuvre par les acteurs des filières bio et paysannes. Mais la mission confiée semble plutôt viser à renforcer a priori un certain type d’innovation, pensée dans les laboratoires, et valorisable via des starts-up ou des brevets…
Éric Meunier