Aller au contenu Aller au menu Aller à la recherche

Logo du site

Accueil > Communiqués, conférences, réunions > NPA 09 > En Ariège, au secours des urgences

En Ariège, au secours des urgences

https://www.mediapart.fr/journal/france/140724/en-ariege-au-secours-des-urgences?utm_source=article_offert&utm_medium=email&utm_campaign=TRANSAC&utm_content=&utm_term=&xtor=EPR-1013-%5Barticle-offert%5D&M_BT=5070009025918

Les cyclistes du Tour de France empruntent dimanche 14 juillet les vallées ariégeoises les plus enclavées, où habitants, syndicats et médecins se mobilisent pour améliorer l’accès au soin. Les urgences, la maternité et le service psychiatrique du centre hospitalier local menacent régulièrement de fermer.

Sophie Bourlet

EncourtiechEncourtiech, Saint-Girons et Prat-Bonrepaux (Ariège).– Une brume épaisse entoure le petit village d’Encourtiech en ce mois de mai particulièrement frais. Par temps clair, on voit les Pyrénées, assure Jean-Claude Dedieu, le maire de la commune de 90 habitant·es. Depuis plusieurs mois, il prête le petit local de la mairie à un groupe de villageois·es.

Composé d’éleveurs et éleveuses, d’infirmiers et infirmières, professeur·es ou élu·es des vallées voisines, le Comité de défense du centre hospitalier Ariège-Couserans (CD-CHAC) a un objectif : conserver les urgences, la maternité et le seul service psychiatrique du département, qui menacent tous de fermer. L’association a été créée en 2016, mais l’été dernier, sa mobilisation a pris un nouveau tournant.

En débarquant pour une urgence au CHAC de Saint-Girons, les patient·es ont eu pendant plusieurs jours la mauvaise surprise de tomber sur un rideau baissé et une feuille A4 portant le message : « Urgences fermées, veuillez appeler le 15. » Dues à une insuffisance de personnel pour garder le service ouvert, ces fermetures perlées ont concerné soixante jours sur l’année, selon Yan Cougoureux, secrétaire CGT et membre du CHAC. « Une perte de chances colossale », affirme-t-il.

Alors quand quelques indiscrets réalisent que la maternité a été rayée du Projet régional de santé 2023-2028 par l’Agence régionale de santé (ARS), c’est l’électrochoc. Les syndicats montent au créneau, les tracts sont distribués, surtout aux élu·es, le comité de défense force la porte de l’ARS, et une manifestation rassemble 1 000 participant·es dans le centre-ville de Saint-Girons – la plus grande que la bourgade de 6 000 âmes ait jamais connue.

La lutte finit par payer : les élu·es s’opposent au projet et l’ARS revient sur la suppression de la maternité. Le directeur de l’hôpital parvient de son côté à recruter pour ses urgences. « Quand on veut, on peut », note le syndicaliste Yan Cougoureux.

Mais ce n’est certainement qu’un court répit. Les hôpitaux de proximité sont jugés trop coûteux par l’ARS, et le CHAC est chroniquement déficitaire : maintenir ces services pour le bassin de vie du Couserans, environ 30 000 personnes, n’est pas rentable. En vingt ans, 40 % des maternités de proximité ont fermé en France. Un récent rapport de la Cour des comptes recommande même la fermeture des maternités qui font moins de 1 000 accouchements par an, afin d’améliorer la sécurité des parturientes et de leurs nourrissons. Celle de Saint-Girons n’en comptabilise que 180. C’est la plus petite maternité de France, parmi la vingtaine à pouvoir rester ouvertes sous le seuil légal des 300.

Saccage néonazi des locaux de la CGT

Dans la nuit du 6 au 7 juillet, le local du syndicat CGT du CHAC a été violemment saccagé et inondé volontairement, entraînant la destruction de tout le matériel informatique et de « 15 ans d’archives concernant les agents », selon Yann Cougoureux, le responsable syndical. Les murs ont été tagués « du sol au plafond » de menaces de mort, de mentions au Rassemblement national, et de croix gammées ou celtes. Le syndicat est habitué aux menaces et dégradations, mais « jamais à ce stade-là. On ne pensait pas ça possible », déplore-t-il. Avec l’établissement CHAC, ils ont porté plainte auprès du procureur de Foix, qui a lancé une procédure d’enquête criminelle.

Encourtiech est à quinze minutes de Saint-Girons. Plus loin, les villages du cœur des vallées peuvent se retrouver par temps de neige à plus d’une heure de l’hôpital. Si celui-ci venait à fermer, les habitant·es devraient se rendre à l’hôpital de Foix. Julie habite à trente minutes au sud de Saint-Girons. Mais si le CHAC ferme, c’est une heure de route pour se rendre à Foix. « Quand on est à deux doigts d’accoucher, ça n’est pas possible !, s’insurge-t-elle. J’ai accouché à Toulouse [à une heure et quarante-cinq minutes de route – ndlr], en dormant chez une proche, pour ne prendre aucun risque, car la maternité du CHAC pouvait fermer sans prévenir », regrette celle dont toute la famille est née à Saint-Girons et dont beaucoup d’amies ont fait le même choix.

Des carences qui se répercutent sur la médecine libérale

« On paye des impôts comme tout le monde, on peut être soignés comme tout le monde ! », s’insurge Sabine Millau, trésorière du CD-CHAC. Un an d’attente pour un rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP), autant pour un rendez-vous en cardiologie, pas d’hélicoptère médicalisé… Quand on habite l’Ariège, mieux vaut être en bonne santé.

Si le nombre de médecins généralistes reste stable pour l’instant (leur moyenne d’âge est de 50,6 ans, selon le Conseil national des médecins), le département est le plus touché de France par la perte de spécialistes : 24 % en dix ans. « Mon enfant n’a jamais vu de pédiatre », regrette Julie, la jeune maman.

Ces carences sont répercutées sur les généralistes, qui doivent être de plus en plus polyvalent·es. « Ça nous arrive de devoir retarder l’envoi aux urgences et de maintenir à domicile parce qu’on sait que les urgences sont pleines », alerte Marine Delabarre, médecin à la maison de santé de La Bastide-de-Sérou, 985 habitant·es.

« C’est le côté touche-à-tout et familial qu’on aime dans la médecine rurale », tempère sa collègue Aurélie Godineau. Elle a rendez-vous pour une consultation chez André, 75 ans, dans le village d’Unjat, auquel on accède par une petite route sinueuse à peine débroussaillée. André nous reçoit dans son unique pièce avec un grand sourire et du jus de pêche. Il connaît la docteure depuis qu’elle exerce et a même passé certaines fêtes chez elle.

Non véhiculé, il met une heure pour aller au marché, à pied, chaque jeudi. Ancien éleveur bovin, il vit du minimum retraite, et le frigo semble bien vide. Un·e Ariégeois·e sur trois a plus de 60 ans, et 18 % de la population départementale vivent sous le seuil de pauvreté.

Olivier Couzinet représente l’ancienne génération. Il travaille quatorze heures par jour, cinq jours par semaine, pour honorer les 1 600 patient·es qu’il a hérités de son père et de son grand-père.

Si les quatre médecins du centre de santé de La Bastide-de-Sérou ne travaillent qu’à temps partiel, Olivier Couzinet, lui, représente l’ancienne génération. Il travaille quatorze heures par jour, cinq jours par semaine, pour honorer les 1 600 patient·es qu’il a hérités de son père et de son grand-père. Il part à la retraite dans six mois, alors il faut lui trouver deux remplaçant·es, pour maintenir à flot sa maison de santé, située à Prat-Bonrepaux.

Un vrai cercle vicieux : moins il y a de généralistes, de spécialistes et d’hôpitaux, moins les jeunes médecins ont envie de s’installer, effrayés par une patientèle et des responsabilités énormes. Marine Delebarre, 33 ans, s’est récemment installée à La Bastide-de-Sérou. Elle a fait un stage à la maison de santé et y a tout de suite apprécié le travail d’équipe. Ici, plusieurs professions travaillent ensemble : infirmières et infirmiers, assistant·es sociaux, kinésithérapeutes, ostéopathes, sexologues, etc., et trois autres médecins.

« Avoir des collègues aide à franchir le cap de l’installation, qui peut faire peur », note sa collègue plus âgée, Marie Vidal-Meler. Autre piste avancée par le géographe Guillaume Chevillard pour endiguer la désertification médicale : « faire en sorte qu’il y ait davantage d’étudiants qui soient issus de milieux ruraux dans les études de médecine », pour qu’ils aient envie d’y retourner au moment de leur installation.

Continuer à se battre

La situation des soins psychiatriques est également compliquée. Yan Cougoureux, l’actuel secrétaire CGT infirmier en pédopsychiatrie à l’hôpital du CHAC, s’insurge contre les conditions d’accueil en psychiatrie : « On fait sortir les moins pires pour faire rentrer les pires parce qu’on n’a plus de lit, et quelques jours après, on apprend leur suicide parce qu’ils n’étaient pas stabilisés. »

Le seul service psychiatrique du département de 150 000 personnes est en souffrance. « Les procédures d’isolement ne sont pas toujours conformes à la loi, ni l’information du patient, ni le recours à la contention », rapportait le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2021 à propos du CHAC.

Il a participé à la grande manif à Saint-Girons, mais c’était en fait un appel à l’aide. Il est mort le lendemain.

Yan Cougoureux

Un phénomène aggravé par la promulgation de la loi « portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé », en mai 2023, qui plafonne le salaire des intérimaires dans les établissements publics, avec lesquels fonctionne énormément le CHAC. « Douze de nos psychiatres sont partis dans le privé, soit la moitié de l’équipe. Ils n’ont pas été remplacés et la direction n’a pas l’air pressée de le faire », explique Yan Cougoureux.

Pas étonnant : la dotation en psychiatrie de l’hôpital est ponctionnée pour financer le déficit de la maternité et des urgences, révélait le rapport accablant du CGLPL. Le syndicaliste se rappelle avec émotion un jeune de 20 ans, sorti alors qu’il n’était pas stabilisé. « Il a participé à la grande manif à Saint-Girons, mais c’était en fait un appel à l’aide. Il est mort le lendemain », raconte-t-il.

Les habitant·es et les syndicats restent sur leur garde. « Les contrats ont été négociés jusqu’en juin, ensuite, on n’a aucune garantie, explique le syndicaliste… Avec le Tour de France, ils sont capables de mettre le plateau technique sur le Tour et de le fermer ici, comme ils l’ont fait d’autres années ! »

Sophie Bourlet

SPIP 3.2.0 [23778] | Squelette BeeSpip v.

Mis à jour le mercredi 18 septembre 2024