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Manifestation contre l’islamophobie appelée par plusieurs partis, syndicats et associations, Paris, 10 novembre 2019.
Les travailleurs et travailleuses français·es votent davantage pour le Rassemblement national que pour d’autres partis, mais dans leur grande majorité, ils et elles ne votent pas du tout : Marine Le Pen a su exploiter le vide laissé par le déclin des organisations ouvrières.
Pendant des décennies, la gauche française a été dominée par le Parti communiste (PCF), qui a su construire de solides réseaux dans la classe ouvrière tout au long du 19e siècle. Mais son déclin à partir des années 1980, étroitement lié à la destruction des conditions sociales et organisationnelles qui ont longtemps permis la participation des travailleurs/ses à la vie politique française, a donné à des groupes sociaux et à des militant·es très éloigné·es de la classe ouvrière la possibilité de s’exprimer politiquement en son nom. Le Front national, devenu le Rassemblement national (RN) en 2018, a été l’un des principaux bénéficiaires de cette crise : bien qu’il n’ait pas de véritable base militante dans les quartiers populaires et les usines, il peut aujourd’hui se présenter comme le « parti des travailleurs ».
Grandeur et décadence d’un parti ouvrier
Fondé en tant que parti de la classe ouvrière dans l’entre-deux-guerres, le Parti communiste a été, de 1945 aux années 1970, la principale force militante et électorale de la gauche française. Son organisation était ancrée dans la classe ouvrière ; souvent dirigé par des cadres qui en étaient issu·es, son poids politique était d’autant plus important que la classe ouvrière avait plutôt une bonne cohésion sociale. Les ouvriers qualifiés de la métallurgie et les salarié·es des entreprises publiques à statut protégé (rail, gaz ou électricité) y jouaient un rôle clef. La proximité entre les lieux de travail et les zones résidentielles permettait en outre que l’activité politique déployée sur les lieux de travail s’étende facilement aux lieux de vie.
Mais la crise industrielle de la fin des années 1970 a frappé les couches supérieures des classes populaires, dont étaient issus la plupart des dirigeant·es communistes. La précarisation de l’emploi et les effets durables du chômage de masse provoquèrent un recul des luttes sociales en fragilisant la transmission de la culture de classe : de plus en plus de travailleurs/ses s’embauchèrent dans de petites entreprises ou dans des emplois isolés du secteur tertiaire, toujours plus éloignés de leur lieu de vie. Or dans ces conditions de travail dégradées, la distinction entre salarié·es et employeurs ne prend plus la même forme qu’à l’usine, et l’organisation syndicale n’en est que plus difficile.
Si les transformations de la production et des conditions de vie de la classe ouvrière ont contribué au déclin du parti, les politiques menées par ses dirigeants l’ont accéléré. Pour de nombreux ménages ouvriers, le PCF est associé au démantèlement de l’industrie en raison de son rôle dans les gouvernements français de 1981-1984 et de 1997-2002. La crise de la sidérurgie dans l’est de la France s’est aggravée avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. En 1997, le gouvernement dit de « gauche plurielle », qui comprend des ministres PCF, lance une vague de privatisations. La déception à l’égard du gouvernement dirigé par le Parti socialiste affecte également le PCF, d’autant plus qu’il lui était associé dans la gestion des conseils municipaux depuis les années 1970.
Il y a également eu une rupture idéologique. Dans les années 1990 et 2000, l’ancien « parti de la classe ouvrière » tend à perdre son orientation de classe. Loin de se présenter comme un parti de classe, l’objectif du PCF est alors simplement d’être représentatif de la « société » dans sa « diversité », au détriment des intérêts spécifiques de la classe ouvrière et de la priorité donnée à la lutte contre l’exploitation capitaliste. La volonté de construire une image nouvelle, « moderne » et « ouverte », de la politique communiste qui a accompagné le rejet explicite du stalinisme s’est également traduite par le mépris des approches « ouvriéristes » et des structures du centralisme démocratique.
Certes, le travail de tri de la base militante du PCF laissait peu de place à la démocratie interne. Mais il avait bel et bien permis de constituer un corps de dirigeant·es issus de la classe ouvrière. Au fur et à mesure que le nombre de membres du parti a diminué, le langage de « l’ouverture à la société » a encouragé une intégration encore plus grande du PCF dans les rouages institutionnels de la politique locale comme nationale. Les processus de sélection, de formation et de promotion des militant·es de la classe ouvrière s’en sont trouvés affaiblis, et l’organisation du PCF s’est réorientée vers les classes moyennes. Les ouvrier·es et les employé·es ont eu tendance à être marginalisé·es au sein de l’appareil du PCF, où se sont mises à prédominer les catégories les plus éduquées, telles que les enseignant·es et les cadres.
De même, le mouvement syndical a perdu du poids dans la composition de la direction du PCF. À sa place, les responsables politiques ont gagné en influence : la proportion d’élu·es, de chef·fes de projet, d’attaché·es parlementaires et autres figures d’autorité locale, s’est accrue, et la relation entre le parti et les populations locales dépend de plus en plus du rôle des cadres, des élu·es locaux ou des fonctionnaires, et de moins en moins de l’activité des militant·es du parti. Maintenir un ancrage dans l’administration locale est devenu un objectif central, et le fait d’avoir une formation universitaire ou de posséder des compétences managériales est désormais considéré comme un avantage pour rejoindre le PCF et grimper dans sa hiérarchie interne.
L’extrême droite et la structure des classes sociales
C’est dans ce contexte d’affaiblissement de l’ancrage du PCF dans la classe ouvrière que le parti d’extrême droite a commencé à se développer. Bien que le Front national ait bénéficié d’une base électorale importante au sein de la classe ouvrière à partir du milieu des années 1980, son ancrage en termes de structuration de classe n’était pas celle du PCF qui, lui, était fondé sur une alliance entre des syndicalistes de la classe ouvrière et des membres de la petite bourgeoisie culturelle (enseignant·es, travailleurs/ses sociaux et culturels). Ce n’est pas le cas du parti de Le Pen : ses réseaux sont presque toujours construits autour de convergences entre une petite bourgeoisie indépendante (commerçant·es, artisan·es) et les salarié·es de l’artisanat et des petites entreprises, qui sont souvent enfermé·es dans des relations de proximité et de dépendance personnelle avec leurs patrons.
Le parti compte également sur le soutien des cadres et des professions intermédiaires du commerce de détail, un groupe socioprofessionnel en expansion qui est au cœur des transformations récentes du secteur privé. Il serait donc réducteur d’envisager la montée en puissance des idées du Rassemblement national sous le seul angle de la désindustrialisation. Elle se nourrit également de la recomposition du monde du travail et du maintien de l’emploi industriel sous des formes spécifiques, par exemple autour de l’industrie agro-alimentaire. Le Rassemblement national ne gagne pas nécessairement du terrain chez les catégories indépendantes en situation de déclassement. De fait, le basculement de la population vers l’extrême droite peut trouver son origine dans une mobilité professionnelle ascendante, souvent liée à l’accession à la propriété dans les zones rurales : le vote RN y a pris une telle ampleur qu’il rassemble aujourd’hui différents types de profils sociaux partageant une même vision positive du modèle de l’indépendance et de la réussite individuelle. Dans certains contextes, le RN a permis à des personnes issues des classes populaires de rejoindre ses listes aux élections locales, intégrant ainsi des personnes souvent exclues de la compétition politique.
Mais à la différence du PCF des décennies précédentes, il ne s’agit pas d’une stratégie délibérée. Les dirigeant·es du Rassemblement national cherchent plutôt à présenter des candidat·es disposant d’une combinaison de capital économique et culturel, comme les professions libérales, mais leur volonté se heurte à la faiblesse de leurs forces militantes et à la composition sociale de leur base électorale.
Un électoralisme sans militantisme
Si le parti d’extrême droite s’est inspiré du PCF dans les années 1990, il est loin d’être structuré sur le même modèle : dans les quartiers populaires, le RN reste peu organisé, ses réseaux sont fragiles, son pouvoir municipal est relativement limité et son implication dans les associations de quartier est faible. À l’issue des élections municipales de 2020, il n’a remporté que seize municipalités et vingt-six conseiller·es départementaux dans toute la France, ce qui est loin de sa force aux élections nationales. Marine Le Pen est arrivée en deuxième position aux élections présidentielles de 2017 et 2022, mais ces scores se traduisent encore difficilement au niveau local et en termes de base militante. S’il est vrai que le parti monte en puissance depuis plusieurs années, avec une augmentation du nombre de ses élu·es, notamment des député·es, les cas où il a construit une présence structurée au niveau local – comme à Hénin-Beaumont, ancienne ville minière du nord de la France qui a aujourd’hui un maire RN – restent exceptionnels.
Alors que les médias présentent souvent les classes populaires comme la principale base de soutien du Rassemblement national, il faut pourtant signaler que ce parti n’a jusqu’à présent trouvé que peu de légitimité parmi les organisations ouvrières existantes. Il ne prospère qu’à ses marges, précisément lorsque les grandes entreprises – foyers de la lutte sociale et de l’organisation syndicale – ferment et que les solidarités ouvrières se désagrègent ou se reconstituent en dehors des syndicats. Les salarié·es des grandes entreprises, en particulier dans le secteur public où il existe encore des traditions de lutte, soutiennent beaucoup moins le RN.
Il serait donc erroné de penser qu’il a pris la place qu’occupait le PCF dans les quartiers populaires, notamment dans les zones rurales, où son audience électorale est pourtant très forte. Il a encore du mal à trouver des candidat·es pour se présenter aux élections dans plusieurs localités, même là où il a obtenu beaucoup de voix. Il ne s’agit pas de minimiser ou de sous-estimer son influence : la dynamique est incontestablement de son côté. Mais il reste que sa croissance électorale ne s’accompagne pas nécessairement de la construction d’une présence locale structurée, et le RN peine à s’implanter dans le militantisme. Les études de sociologie politique montrent que les manifestations de soutien au parti au niveau local sont largement informelles : elles sont en grande majorité le fait de sympathisant·es non affilié·es qui se réunissent, par exemple, dans un club de pêche ou dans un café. Ainsi, les idées du RN se répandent sur fond de désintégration de la gauche. C’est de ce côté du spectre – la gauche militante – que la résistance de la classe ouvrière peut être observée. Mais celle-ci se manifeste moins à travers le PCF qu’à travers le mouvement syndical.
La force du Rassemblement National en milieu rural
Dans les petites villes rurales, où le RN accumule un nombre de voix assez important, les militant·es de gauche sont de plus en plus rares. Souvent, seuls les réseaux syndicaux restent actifs pour défendre les valeurs progressistes contre les idées d’extrême droite, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les quartiers. J’ai pu le constater lors d’une étude de terrain dans une localité rurale et ouvrière du centre-est de la France, où le vote RN est important et en progression constante. Dans la ville de trois mille habitant·es située au cœur de cette zone, Marine Le Pen est arrivée en tête des trois élections présidentielles auxquelles elle a participé et a connu une progression fulgurante : 22 % en 2012, 30 % en 2017 et 38 % en 2022. Lors de ces dernières élections, elle a obtenu 59 % au second tour, devançant nettement Emmanuel Macron.
Première force électorale loin devant les autres partis, le Rassemblement national n’a pas de militant·es déclaré·es au niveau local et n’est pas en mesure de constituer une liste pour les élections municipales. Ses candidat·es aux élections départementales de 2015 étaient inconnu·es de la grande majorité des habitant·es et des élu·es locaux : une jeune femme de 23 ans, inscrite en école d’infirmières à Paris, au parti depuis seulement un an, et un enseignant de 27 ans qui vit et travaille dans le chef-lieu du département. Membre de réseaux chrétiens fondamentalistes, il avait adhéré au parti quatre ans auparavant. Aucun·e des candidat·es n’habite la région, pas plus que leurs colistier·es (un étudiant en droit travaillant dans un cabinet parisien et une femme d’affaires inconnue dans la région). Le parti n’a pas été en mesure de présenter des candidat·es aux élections départementales suivantes, en 2021, et le candidat aux élections législatives de 2017 a été mis à l’écart pendant un certain temps après les élections, avant de finalement abandonner la région. En 2022, un nouveau candidat aux législatives – avocat au Barreau de Paris – s’est hissé au second tour.
Cette situation est loin d’être exceptionnelle. Dans l’une des quelques municipalités gagnées en 2014, dans le sud de la France, la liste d’extrême droite était menée par des personnes peu connues de la population, ayant peu d’histoire active au sein du parti, et qui ont elles-mêmes été surprises d’être élues. Chaque fois que la ville du centre-est de la France que j’ai étudiée se rend aux urnes pour des élections nationales, la grande majorité des personnalités impliquées dans la sphère publique locale (élu·es, membres d’associations, syndicalistes, candidat·es, etc.) expriment leur incompréhension face aux résultats généraux, qui semblent en décalage avec la campagne menée sur le terrain, où le RN est absent.
Ces habitant·es impliqué·es dans les organisations et associations de la scène municipale sont principalement issu·es des couches supérieures de l’espace social local provenant des classes moyennes : enseignant·es, cadres moyen·nes, commerçant·es, agent·es de maîtrise, employé·es de bureau, ingénieur·es, etc. Les figures ouvrières, pourtant majoritaires dans la population générale, sont moins présentes. Une exception : les cheminot·es.
Les cheminot·es contre l’extrême droite
J’ai mené mon enquête de terrain principalement auprès des cheminot·es, en particulier des membres de la CGT, qui représente la majorité des salarié·es de la SNCF. Parmi les facteurs expliquant le maintien de l’engagement syndical des cheminot·es dans cette petite ville, on peut citer une longue histoire remontant au 19e siècle marquée par la présence d’un atelier de maintenance employant près de trois cents personnes.
Les cheminot·es bénéficient d’une certaine stabilité professionnelle qui facilite leur engagement politique. Ils et elles disposent de ressources, et d’une continuité d’emploi que n’ont pas d’autres figures ouvrières locales en situation plus précaire (métallurgistes, ouvrier·es d’abattoirs, menuisier·es, employées de maison, assistantes maternelles, employé·es de supermarchés, maroquinier·es, etc.) Cependant, les cheminot·es ne sont pas isolé·es de ces éléments des classes populaires les plus pauvres : leurs conjoint·es, comme leurs enfants, ont souvent du mal à trouver un emploi stable, et beaucoup sont en situation précaire. Dans le secteur privé, ils ou elles n’ont généralement pas trouvé de syndicats, et leur expérience du travail subalterne a nourri un sentiment d’injustice sociale : une méfiance à l’égard de l’autorité patronale qui peut alimenter le vote pour l’extrême droite. Ce n’est que lorsque ces travailleurs/ses ont atteint une certaine stabilité au sein de la SNCF que la question de l’affiliation syndicale se pose réellement.
Le vote d’extrême droite se nourrit du rejet des figures fantasmées de « l’étranger », du « musulman », de « l’assisté », autant d’images véhiculées par les débats médiatiques et les leaders politiques de droite, mais aussi de plus en plus de gauche. Cependant, la socialisation dans certains syndicats – comme la CGT cheminots – est orientée vers des valeurs progressistes, vers la découverte des causes sociales et politiques de la situation de chacun·e. Si une lecture racialisée des divisions sociales peut prévaloir au sein de la classe ouvrière locale, elle n’apparaît guère au sein du syndicat lui-même. Parmi les dirigeant·es syndicaux, la proximité avec le RN et ses valeurs est explicitement condamnée comme un obstacle à la prise de responsabilité.
Ainsi, lors d’un débat interne, une syndicaliste de trente-cinq ans émet des réserves sur l’intérêt de « recruter des adhérent·es pour le plaisir » : prenant l’exemple d’un jeune cheminot affilié au syndicat qui, selon elle, n’a pas « l’ouverture d’esprit » attendue d’un membre de la CGT, elle associe explicitement les valeurs syndicales à des attitudes morales telles que la tolérance à l’égard des immigré·es et des homosexuel·les. Même si entre syndiqué·es, le racisme et le sexisme peuvent s’exprimer sous une forme ou une autre, ces opinions ne peuvent pas trouver une expression légitime au sein du collectif syndical lui-même. Elles viennent de la marge, c’est-à-dire des travailleurs/ses les plus éloigné·es du syndicat, et sont vouées à provoquer des interpellations.
Cette prise de distance avec le parti d’extrême droite est le résultat d’une socialisation politique au sein du syndicat. Mais elle peut aussi être un moteur d’adhésion à la CGT. C’est le cas de Stéphane, responsable des jeunes de la CGT, qui se dit « sensible au discours du syndicat » dès son adhésion, « en lien avec tout ce qui était [son] idéologie d’origine » et « la lutte pour la justice sociale ». Sa « révolte contre l’injustice » vient en partie de ses pratiques culturelles d’adolescent fan de groupes de rock punk de gauche. Particulièrement sensibilisé à l’antiracisme, il a eu, lors de son entrée à la SNCF au début des années 2000, plusieurs « bagarres » avec ceux qui « disaient des choses racistes ». Lorsque Stéphane est arrivé, un autre syndicat dominait sa salle d’affectation, dont le représentant s’est joint à ces propos racistes. « Puis il s’est calmé. Il s’est calmé le jour où un gars, Mehdi, qui était […] français mais d’origine maghrébine, est arrivé ». La présence de Stéphane et de Mehdi a fait reculer l’atmosphère ouvertement pro-Le Pen.
Stéphane a poursuivi son combat dans l’arène politique locale, où il a rejoint l’opposition contre le maire élu en 2008 dans sa ville de quatre mille habitant·es. Le maire, agent général d’assurance indépendant, avait été candidat pour le RN en région parisienne au début des années 1990. La mobilisation sociale des employé·es municipaux et les protestations des militant·es antifascistes, étroitement liées aux réseaux des syndicats des employé·es à statut protégé (tel·les que les cheminot·es et les fonctionnaires locaux) et des enseignant·es, ont contribué à mettre fin à son mandat en 2014.
Les absences de la gauche
Comme on peut le voir dans ce cas, les syndicalistes jouent un rôle clé pour contrer l’influence de l’extrême droite dans les quartiers populaires. Les alliances syndicales locales permettent aux militant·es de se rencontrer en dehors du lieu de travail. Cependant, en ces temps de répression antisyndicale intense, les militant·es syndicaux sont souvent contraint·es de se concentrer uniquement sur leur lieu de travail et le soutien politique qui peut leur être apporté reste faible.
Loin de chercher à renforcer le syndicalisme – ce qui serait un moyen de contrer l’extrême droite –, les gouvernements français successifs, notamment la présidence du socialiste François Hollande (2012-17) puis de son ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, ont encore affaibli les contre-pouvoirs des travailleurs/ses sur leur lieu de travail, dans un contexte de déstabilisation croissante de la condition ouvrière.
En outre, le fonctionnement des partis de gauche tend à marginaliser les classes populaires et leurs représentant·es syndicaux. La direction de la principale force de gauche, La France insoumise, refuse toute structuration avec de vrais adhérent·es, des congrès, le développement de groupements locaux, etc. Explicitement conçue comme un mouvement et non comme un parti, LFI doit lutter durement pour exister en dehors des périodes de campagne électorale et prendre pied dans la vie de la classe ouvrière. Le mouvement s’appuie principalement sur ses député·es et sur la mobilisation des catégories sociales éduquées, sans pouvoir faire appel aux structures militantes des quartiers populaires et des zones rurales.
Le modèle historique du PCF, comme celui du Parti socialiste avec ses différents courants internes, est aujourd’hui un modèle que La France Insoumise rejette expressément. Et à juste titre, en ce qui concerne le manque de démocratie interne du PCF. Mais il y a peut-être des leçons politiques à tirer de l’histoire centenaire du PCF en ce qui concerne la mobilisation des classes populaires. Celle-ci était assurée par diverses pratiques collectives qui accordaient une grande importance à l’origine sociale des militant·es et valorisaient le rôle des syndicalistes.
Aujourd’hui, on rejette l’organisation formelle pour lui substituer un mouvement lâche de sympathisant·es, qui valorise à tout prix « l’horizontalité » et les stratégies individuelles de personnalités issues de la « société civile » ou de parlementaires. Mais une telle stratégie s’avère insuffisante pour assurer l’enracinement dans la classe ouvrière d’une alternative politique au capitalisme, voire d’une lutte contre l’extrême droite. C’est un combat qui se joue non seulement dans les urnes, mais aussi sur le terrain, dans les lieux de vie et de travail au quotidien.
Version réduite et traduite de l’espagnol, avec l’aide de DeepL, de l’article paru le 6 mai 2024 dans la revue Jacobin.