Dans cette lecture critique du livre de Naomi Klein récemment traduit en français sous le titre Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique (Actes Sud/Lux, 2015), Daniel Tanuro expose les forces et faiblesses d’un livre « fort », mais « sous tension » entre radicalisme et pragmatisme. Ce texte est une version approfondie d’une première recension parue dans la revue Capitalism, Nature, Socialism et adaptée en français pour le site lcr-lagauche, sous le titre « Naomi Klein, le capitalisme et le climat ».
Le livre que Naomi Klein a consacré au changement climatique est un événement [1]. L’auteure de La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre (2007) s’y livre à une dénonciation en règle de la logique de croissance capitaliste, de la cupidité des multinationales du pétrole, du charbon et du gaz naturel, et de la soumission des gouvernements à leurs intérêts. « Changer le climat de la terre d’une manière qui sera chaotique et désastreuse est plus facile à accepter que la perspective de changer la logique fondamentale du capitalisme, basée sur la croissance et la quête du profit », écrit Klein (p. 89). Pour elle, la hargne des climato-sceptiques ne tombe pas du ciel, elle découle d’une analyse lucide : ces gens-là ont compris – mieux que la gauche – que lutter sérieusement contre le réchauffement nécessite un changement politique radical, une autre société. Une société avec plus de régulation, plus de secteur public, plus de bien commun, plus de démocratie. Une société portée par d’autres valeurs que la compétition, l’accumulation, l’ostentation, le chacun pour soi… Une société dont ils et elles ne veulent à aucun prix !
« Le pouvoir révolutionnaire du changement climatique »
Le titre de l’ouvrage résume la thèse centrale de l’auteure : « This changes everything » – ceci change tout. Naomi Klein appelle en effet la gauche à comprendre la chance qui s’offre à elle. La chance ? Oui, car « la vérité sur le changement climatique n’est dérangeante que pour ceux qui se satisfont du statu quo », dit Klein. Pour les autres, tous les autres, « s’il y a jamais eu un moment pour avancer un plan visant à guérir la planète en guérissant aussi nos économies cassées et nos communautés brisées, c’est celui-ci » (p. 155). La crise environnementale ajoute son « urgence existentielle » à tous les problèmes, explique Klein. Elle « offre un discours global dans lequel tout, de la lutte pour de bons emplois à la justice pour les migrants, en passant par les réparations pour les méfaits historiques comme l’esclavage et le colonialisme, peut s’intégrer au grand projet de construire une économie non toxique, à l’épreuve des chocs, avant qu’il ne soit trop tard » (p. 154).
En d’autres termes, Klein croit au « pouvoir révolutionnaire du changement climatique ». Du coup, mettant les pieds dans le plat, elle dresse un réquisitoire implacable et très convaincant contre les grandes associations environnementales, étasuniennes en particulier, que ce pouvoir semble effrayer plus que tout. Elle leur reproche d’avoir désamorcé la mobilisation et renoncé à leurs propres objectifs en échange d’une place dans le système. Preuves à l’appui, elle accuse certaines grandes ONG d’aller jusqu’à tirer profit de l’exploitation pétrolière dans des réserves naturelles dont elles avaient la charge. Klein presse le lecteur de se dégager de leur influence paralysante pour s’engager dans la construction de mouvements de masse, à la base, et affronter la logique capitaliste. Elle admet que « le genre de contre-pouvoir qui a une chance de changer la société à une échelle proche de ce qui est requis fait encore défaut » (p. 156). Mais elle voit des signes avant-coureurs dans les mobilisations radicales contre l’extractivisme et les grands projets d’infrastructure, qui se multiplient aux quatre coins du globe. Le fait que les peuples indigènes jouent souvent un rôle clé dans ces mobilisations est pour Klein une source d’espoir, car ces communautés ont de leur rapport à la nature une vision autre que celle de la domination et du contrôle absolu, typiques, selon elle, de la culture occidentale depuis les Lumières.
Un livre sous tension
This changes everything est un livre fort, mais un livre sous tension. L’auteure le confesse dès les premières pages : « C’est le livre le plus difficile que j’ai jamais écrit, parce que la recherche m’a conduit à chercher des réponses radicales. Je n’ai aucun doute de leur nécessité, mais je questionne tous les jours leur faisabilité politique » (p. 26). De fait, Klein semble osciller entre une alternative anticapitaliste autogérée et décentralisée, de type écosocialiste et écoféministe (quoiqu’elle n’emploie pas ces termes), d’une part, et un projet de capitalisme vert régulé, basé sur une économie mixte relocalisée et imprégné d’une idéologie du soin et de la prudence, d’autre part. Cette tension entre faisabilité immédiate et radicalité – entre antinéolibéralisme et anticapitalisme – est présente dans tout l’ouvrage. Par exemple : un souffle révolutionnaire traverse la conclusion, quand Klein met en parallèle – comme Marx dans Le Capital ! – la lutte contre l’esclavagisme et la lutte contre l’appropriation capitaliste des ressources (p. 458 sq.) ; mais elle écrit à un autre endroit qu’il y a « plein d’espace pour faire du profit dans une économie zéro-carbone » et que l’obstacle à la transition écologique vient des « business models actuels » (p. 252) et de la manière dont « nous pensons à propos de l’économie » – donc pas de l’économie elle-même ? (p. 95, je souligne).
Cette oscillation n’est peut-être pas sans rapport avec la manière particulière dont Klein analyse l’idéologie de domination qui considère la nature comme une machine et une réserve de ressources à exploiter sans scrupules. Il est évident que cette idéologie est antérieure au capitalisme, comme elle le souligne. Mais l’auteure semble parfois suggérer que le combat pour des rapports respectueux et prudents de l’humanité avec son environnement pourrait se mener indépendamment du combat contre le capitalisme (voire déboucher sur un autre capitalisme ? la citation ci-dessus, sur les business models, le laisserait penser). Or, cette idée-là est discutable. Le capitalisme est précisément la forme sous laquelle l’idéologie de domination se manifeste aujourd’hui. Il n’en découle pas que la suppression du premier éliminera automatiquement la seconde – au contraire, la lutte pour « prendre soin de la nature avec prudence » devra continuer pendant une longue période après la fin de ce système. Mais le point stratégique clé ici est qu’il n’y a pas de raccourci. Selon moi, l’idéologie de la domination absolue ne flotte pas dans le ciel des idées, elle est enracinée dans des rapports sociaux déterminés. In fine, c’est seulement en détruisant ceux-ci qu’on pourra s’attaquer à celle-là à l’échelle de la société tout entière. C’est un seul et même combat.
Je voudrais développer le débat sur ce point à propos du concept d’extractivisme. L’appétit du capital pour les richesses naturelles découle du fait que, une fois appropriées et monopolisées, ces richesses, parce qu’elles sont gratuites (forêts naturelles, réserves halieutiques, richesses minières, génomes,…), lui procurent un surprofit facile, que le capitaliste – surtout en période de vaches maigres – cherche à transformer en rente. L’extractivisme capitaliste est donc très spécifique et bien différent d’autres formes historiques de pillage des ressources. Il en découle à mon sens que le combat contre la forme contemporaine de cette prédation – de même que le combat contre la forme contemporaine du patriarcat – est inextricablement lié au combat contre le mode de production capitaliste. Donc aux combats contre l’exploitation salariale et contre l’exploitation patriarcale du travail domestique des femmes (qui en est la face cachée). D’ailleurs, à un certain niveau de généralisation, ces trois piliers hideux du capitalisme que sont l’extorsion de la plus-value produite par les salariés, l’exploitation du travail domestique des femmes et le pillage des ressources peuvent être ramenés à une dimension commune. Il suffit pour cela de rappeler cette vérité élémentaire : le corps humain est un convertisseur d’énergie, la force de travail humaine est aussi et avant tout une « ressource naturelle ».
Entre le nécessaire et le possible, quel pont ?
Ceci dit, toutes celles et ceux qui pensent en termes de réponse sociale au défi climatique connaissent bien la tension évoquée par Naomi Klein en préface de son ouvrage. Le problème est évident : en particulier dans les pays capitalistes développés, où le prolétariat constitue la majorité de la population, alors qu’il y a urgence, il y a un abîme entre l’extrême radicalité anticapitaliste des mesures qui s’imposent objectivement pour éviter une catastrophe terrible (ces mesures comportent impérativement la suppression des productions inutiles et/ou nuisibles ainsi que l’expropriation du secteur énergétique et de la finance, sans indemnités, afin que la collectivité dispose des moyens d’une transition planifiée démocratiquement et dans la justice sociale), d’une part, et le niveau de conscience de la grande masse de la population – qui conditionne évidemment la faisabilité des programmes, d’autre part.
La stratégie à déployer pour jeter un pont au-dessus de cet abîme fait l’objet d’un débat important et difficile. Naomi Klein y contribue principalement en appelant à la mobilisation contre les projets miniers et les grandes infrastructures destructrices, et en valorisant le rôle d’avant-garde des communautés indigènes et paysannes dans ces mobilisations (et dans la lutte contre le changement climatique en général). Elle a sur ce point entièrement raison. Le blocage des grands travaux (« Blockadia »), notamment, n’est pas un détail. Contrairement à ce que semble penser François Bonnet [2]., des luttes comme celles de l’aéroport de Notre-Dame des Landes ou contre le pipeline Keystone XL ont vraiment valeur stratégique, car le niveau actuel des infrastructures est comme un goulot d’étranglement qui limite sévèrement l’écoulement des combustibles fossiles dans les années qui viennent. Cependant, on ne peut faire l’économie d’une discussion sur les obstacles à surmonter pour que la classe ouvrière, en tant que telle, participe collectivement au combat pour le climat et collabore à l’élaboration d’une alternative. Or, sur ce point, This Changes Everything laisse le lecteur sur sa faim, et l’auteure se met en contradiction avec elle-même.
Prendre la difficulté à bras-le-corps
À travers l’expression « participation collective de la classe ouvrière en tant que telle », je veux indiquer la possibilité que les travailleur•euse•s s’engagent dans le combat pour le climat en tant que producteur•trice•s, à partir de leur position dans le mode de production, sur leur lieu de travail – comme le font les paysans et, à leur manière, les peuples indigènes – et pas seulement en tant que citoyens ou que consommateurs. La question est cruciale. En effet, l’humanité produisant socialement sa propre existence, c’est en fin de compte de la lutte des femmes et des hommes en tant que producteurs que dépend la possibilité de passer de la lutte de résistance contre les méfaits du capital à l’invention de l’alternative de société rendue indispensable par le bouleversement climatique. Paysans et peuples indigènes, souvent, ont déjà franchi ce cap. La classe ouvrière en est encore loin, à quelques exceptions près.
Pourquoi ce décalage ? Il est flagrant que Naomi Klein ne pose pas la question, et tente encore moins d’y répondre. L’explication est pourtant relativement simple. Quand des paysans luttent contre l’agrobusiness, quand des peuples indigènes luttent contre l’appropriation des forêts comme puits de carbone ou réservoir de biomasse, quand des communautés luttent contre des projets extractivistes qui détruisent leur cadre de vie (comme dans la région de Cajamarca, au Pérou), etc., ces combats pour les revendications immédiates dont dépendent leurs conditions d’existence coïncident directement avec ce qui est nécessaire pour sauver le climat. Pour la classe ouvrière, les choses se présentent fort différemment. En effet, surtout dans le contexte défensif actuel, les revendications les plus immédiates que les travailleur•euse•s posent spontanément pour défendre leurs conditions d’existence ne coïncident guère avec ce qui doit être fait pour sauver le climat, mais plutôt avec ce qui le déstabilise…
Le chômage est le problème majeur des travailleur•euse•s. Or, pour créer ou sauver des emplois, la majorité des salarié-e-s espère l’extension de la production telle qu’elle est, l’amélioration de la position de « leur » entreprise telle qu’elle est, une relance économique du capitalisme. C’est clairement une illusion de croire qu’on puisse ainsi donner un travail à toutes et tous, n’empêche que cette illusion s’impose au plus grand nombre comme la réponse la plus logique et la plus facile à mettre en œuvre. Dans certains secteurs polluants très menacés, comme les houillères de Pologne, des syndicalistes vont jusqu’à mettre en doute la réalité du changement climatique parce qu’ils voient en celui-ci une menace pour l’activité, donc pour l’emploi.
Non, l’Allemagne n’est pas un modèle !
Comment amener les salarié•e•s à adopter une autre perspective ? Fidèle à sa méthode qui consiste à partir d’exemples, Naomi Klein tente de le faire en consacrant plusieurs pages de son ouvrage à une expérience concrète : l’Energiewende (le « tournant énergétique » du gouvernement allemand présidé par Angela Merkel). Tout en déplorant le fait que la sortie du nucléaire ne s’accompagne pas d’un arrêt des centrales au charbon et au lignite (faute de cet arrêt, les émissions de gaz à effet de serre ont recommencé à augmenter en Allemagne), Klein écrit que cette politique est néanmoins un exemple de « prise de distance avec l’orthodoxie néoliberale » (131), un « modèle qui démontre comment développer remarquablement vite des solutions climatiques très décentralisées tout en combattant en même temps la pauvreté, la faim et le chômage » (p.136)… Ce jugement est pour le moins mal informé [3].
Pour rappel, la politique énergétique du gouvernement Merkel est basée sur les feed-in-tariff – des tarifs imposés qui mettent l’électricité verte en position de compétitivité avec l’électricité « sale ». Ces feed-in-tariff procèdent de l’idée libérale qu’internaliser les « » suffit pour que les décisions d’investissement basées sur l’efficience-coût respectent les exigences de la soutenabilité. Sur le plan environnemental, l’idée est vouée à l’échec car elle fait passer le développement du marché des technologies vertes avant les indispensables efforts de réduction de la consommation énergétique, et n’intègre pas les « émissions grises » découlant de la transition [4]
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Sur le plan social, le système allemand est financé par une surcharge (Umlage) sur les factures d’électricité. Tous les ménages paient, mais la surcharge est plus que compensée pour ceux qui ont investi dans les renouvelables – notamment dans les très nombreuses coopératives éoliennes –car ils vendent l’électricité à un prix élevé, garanti par l’Etat pour 20 ans. Les couches défavorisées paient donc pour les couches aisées (individus, coopératives ou PME). De plus, trois mille entreprises polluantes sont exemptées à 80% de la Umlage. Sous prétexte de ne pas handicaper leur compétitivité à l’exportation, elles bénéficient ainsi d’un cadeau de 4 à 5 milliards d’euros par an.
Il est vrai que non seulement des coopératives mais aussi beaucoup de communes allemandes produisent et vendent de l’électricité verte. Dans ce cas, la collectivité bénéficie évidemment d’un retour, qui peut servir à financer des services sociaux, selon une logique redistributive. C’est un aspect positif, dont il convient de s’inspirer pour inventer des stratégies de réappropriation des biens communs, mais cela ne suffit pas à faire de l’Energiewende un modèle à suivre, une alternative au néolibéralisme. En effet, globalement, au lieu que « les fossiles paient la transition » – comme Klein le revendique à juste titre – la politique énergétique de l’Allemagne approfondit les inégalités. Or, celles-ci sont déjà criantes dans ce pays, du fait des mesures féroces décidées par la coalition gouvernementale précédente (entre les Grünen et la social-démocratie), que Merkel n’a fait que poursuivre. Avec huit millions de personnes travaillant pour moins de huit euros brut de l’heure, l’Allemagne n’est vraiment pas un « modèle » de « faisabilité » d’une politique climatique et sociale antinéolibérale. Et ce n’est pas étonnant : un tel “modèle” n’existe pas dans le capitalisme car celui-ci est basé – Klein le dit et le redit à plusieurs reprises dans son livre – sur la double exploitation de la nature et du travail.
Réduire radicalement le temps de travail
Quand elle évoque la lutte contre l’extractivisme en Équateur, Naomi Klein ne cite pas comme premier exemple la politique du gouvernement Correa mais la résistance des communautés indigènes. Elle a raison. Pourquoi alors se fourvoie-t-elle dans un appui critique à l’Energiewende du gouvernement de droite d’Angela Merkel ? Pour montrer aux syndicats que la transition peut créer de « bons emplois » ? L’expérience allemande ne pointe pas tout à fait dans ce sens : des emplois sont créés, oui, mais les conditions de travail et de rémunération dans le nouveau secteur « vert » de l’économie sont plutôt moins bonnes que dans les secteurs traditionnels.
Selon moi, amener les syndicats à rejoindre le mouvement paysan et les peuples indigènes dans la mobilisation climatique passe par une autre réponse au défi du chômage et de la pauvreté. Une réponse à la fois écologique et sociale, qui prend à bras-le-corps la question de la production et s’articule autour de trois axes :
- l’extension de l’emploi public non-délocalisable (notamment par des plans publics de rénovation énergétique des bâtiments, de transformation du système énergétique et de développement des sociétés publiques de transport en commun), en insistant sur la décentralisation et sur le contrôle démocratique par les usagers et les travailleur•euse•s ;
- la reconversion collective, sous contrôle ouvrier, des travailleurs et travailleuses des industries inutiles ou nuisibles (en premier lieu l’industrie de l’armement et l’industrie nucléaire, mais aussi l’automobile, la pétrochimie, etc.) vers d’autres secteurs d’activité (y compris l’emploi rural dans l’agriculture organique et le soin aux écosystèmes : un certain exode urbain est un élément incontournable de la transition) ;
- la réduction radicale du temps de travail, sans perte de salaire, avec embauche compensatoire et réduction des rythmes de travail, afin de travailler tous, de se réapproprier le travail, de vivre mieux et de gaspiller moins.
- Les quelques tentatives syndicales d’aller dans ce sens (par exemple la campagne « One million climate jobs » en Grande-Bretagne) donnent aux anticapitalistes davantage d’exemples positifs et de sources d’inspiration que l’Energiewende d’Angela Merkel. En particulier, la demande de réduction du temps de travail est d’une importance écologique majeure, que Naomi Klein sous-estime. En effet, cette demande permet à la fois de donner un travail à tous et toutes et – pour peu qu’elle s’accompagne d’une baisse substantielle des rythmes de travail – de réduire substantiellement la pression sur les ressources. Comme Marx l’avait noté dans une citation qui est devenue célèbre, il s’agit à la fois de la demande sociale par excellence et du moyen par excellence avec lequel « l’homme social, les producteurs associés » peuvent « régler rationnellement leurs échanges de matière avec la nature » en agissant « de la manière la plus digne, la plus conforme à la nature humaine ».
« Quand l’impossible semble soudainement possible »
Le fossé entre la radicalité nécessaire et la faisabilité politique ne peut être comblé en définitive qu’à la faveur d’une crise majeure, un de ces « moments extrêmement rares et précieux où l’impossible semble soudainement possible », comme Klein l’écrit en conclusion de son livre. Ici, l’auteure abandonne l’illusion de la « faisabilité politique » immédiate pour endosser un discours très franchement anticapitaliste. Je retiens que c’est en quelque sorte son dernier mot et partage sa conviction qu’un tel moment viendra, qu’il coïncidera avec une remise en cause profonde du productivisme et que « la vraie question est de savoir ce que les forces progressistes en feront, la force et la confiance avec laquelle elles s’en saisiront » pour « non seulement dénoncer le monde tel qu’il est mais pour construire le monde qui nous maintiendra tous en vie » (p. 466). Au-delà des points de débat soulevés ci-dessus, l’ouvrage de Naomi Klein est une contribution puissante, magnifique et passionnée à ce combat pour une civilisation digne de ce nom.
Daniel Tanuro