« La présidente du parlement grec a sauvé l’honneur de Syriza » Eric Toussaint, interviewé par le journal espagnol Diagonal
4 août par Eric Toussaint , Fatima Fafatale
Eric Toussaint est porte-parole du CADTM international et est membre du conseil scientifique d’ATTAC France. Il a été membre de la commission d’audit de la dette en Equateur. Il est actuellement le coordinateur scientifique de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque.
« Désormais le gouvernement de Tsipras se fait le complice des créanciers en violation des droits humains. ».
C’est Eric Toussaint qui prononce cette phrase, le coordinateur scientifique de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, mise en place par la présidente du parlement hellénique au mois d’avril 2015, et qui en affronte aussi les conséquences. « Nous continuerons tant que la présidente continuera, et à défaut nous continuerons de manière autonome », soutient-il. Le politologue belge a proposé des alternatives pour faire face à la « capitulation ».
Comment évalues-tu la capitulation signée par Tsipras ?
C’est une vraie capitulation, avec des effets ravageurs, parce qu’aujourd’hui le gouvernement de Tsipras devient le complice des créanciers dans le viol des droits humains. De février 2015 jusqu’à l’approbation par le gouvernement grec de l’accord du 13 juillet, ce n’était pas le cas, parce que les lois qu’avait adopté le gouvernement grec étaient des lois qui cherchaient à rétablir les droits humains même de manière partielle et insuffisante, mais c’était tout de même des lois de rétablissement des droits affectés par cinq années de politique dictée par la Troïka.
Les conséquences de cette capitulation vont sûrement surgir aux yeux des citoyens à partir de l’automne prochain.
Mais dès à présent, et ça se voit de manière très claire avec ce qui a été adopté au cours des nuits du 15 au 16 et du 22 au 23 juillet, le Parlement a adopté des lois proposées par le gouvernement mais qui sont en fait dictées par les créanciers et qui affectent de manière très grave la population grecque : je parle de violation des droits économiques, sociaux, civils et politiques.
Une des lois qu’ils ont voté dans la nuit du 22 au 23 est une loi qui permet aux banques d’organiser l’expulsion de leur logement des familles qui ont une dette hypothécaire qu’elles ne sont pas en mesure de rembourser.
Il faut aussi mentionner la hausse de la TVA sur une partie importante des aliments, à 23%, et la baisse des pensions retraites, même celles qui sont sous le seuil de la pauvreté absolue, qui vont être réduite une fois de plus alors qu’elles l’avaient déjà été de 40% entre 2010 et 2014.
Je parle aussi de violation des droits civils et politiques. Ne pas respecter le vote populaire du référendum du 5 juillet est une violation des droits civils et politiques de la population grecque. Obliger le parlement à voter des lois sans possibilité d’amendements et fournir aux parlementaires le projet de loi 24 heures avant, c’est une violation du pouvoir législatif et donc des droits de la population.
Pourquoi penses-tu qu’il a capitulé ?
Il l’a fait parce qu’il n’est pas disposé à désobéir aux créanciers, tandis que la seule façon de construire une corrélation de forces favorables au peuple et au gouvernement grec aurait été de suspendre le paiement de la dette et prendre le contrôle des banques contre les actionnaires privés, qui sont minoritaires mais qui continuent de dicter leur politique. L’Etat grec a des actions « préférentielles » dans les banques, qui ne donnent pas droit au vote. Donc le gouvernement Tsipras aurait dû changer le statut de ses actions mais il ne l’a pas fait pour ne pas entrer en confrontation non seulement avec les créanciers de l’UE et du FMI mais aussi avec les banquiers grecs alors qu’ils sont les responsables de la crise bancaire et de l’arrivée de la Troïka à partir de 2010. Il aurait dû aussi lancer une monnaie électronique complémentaire et il ne l’a pas fait pour ne pas entrer en confrontation avec la BCE.
A quelles conséquences ça va mener ?
Au niveau des conséquences, ça va sans doute provoquer une grande désillusion, une déception qui n’existe pas encore parmi la population grecque qui continue à appuyer dans les sondages la gestion du gouvernement Tsipras. Les conséquences de la capitulation vont surgir aux yeux des gens à partir de l’automne sans doute et il peut y avoir un changement rapide dans l’opinion publique. On verra. Ce qui est sûr et certain, c’est qu’il va y avoir une déception très grande qui pourrait aussi amener d’ici un an ou plus à favoriser le vote populaire pour Aube dorée.
Et quelles conséquences cela aura sur la commission pour la vérité de la dette grecque ?
Il est très important de souligner que Zoé Konstantopoulou, la présidente du Parlement grec qui a créé la Commission, a sauvé l’honneur de Syriza aux côtés des 31 députés qui ont voté contre l’accord le 15 juillet voir http://cadtm.org/Discours-de-Zoe-Konstantopoulou-en ). Cette présidente a décidé de ne pas démissionner de sa fonction. Tant qu’elle continue, nous continuerons la Commission avec le statut actuel. Et s’il y a un coup de force pour la démettre, c’est-à-dire un vote de la droite et d’une partie de Syriza, ou si elle décide de changer de position et de quitter la présidence du Parlement, la commission convoquera ses membres pour continuer de manière autonome. Zoé Konstantopoulou, continuera quoiqu’il en soit à travailler avec la Commission. En résumé, tant qu’elle est à son poste, on continue avec le Parlement, sinon on continuera de manière autonome sans appui institutionnel.
De tout ce qui a été découvert par la Commission sur la vérité de dette grecque, qu’est-ce qui te paraît le plus grave ?
Le plus grave de ce qui a été découvert par la Commission pour la vérité sur la dette grecque est clair : c’est que toute la dette réclamée par les créanciers de la Troïka est illégitime, odieuse, illégale ou insoutenable. Ce n’est pas seulement une partie, c’est la totalité de la dette.
« Nous sommes dans une situation où les trois partis de droite qui ont perdu le référendum du 5 juillet 2015 sont ceux qui sont en train de dicter avec les créanciers les lois que le Parlement doit adopter. »
Quels sont les scénarios qui s’ouvrent aujourd’hui à la Grèce ?
Le gouvernement de Tsipras est aujourd’hui le prisonnier de la droite dans le sens où il ne tient une majorité que grâce aux votes de To Potami, du PASOK et de Nouvelle Démocratie, et des indépendants alliés au gouvernement (ANEL). Nous sommes dans une situation où les trois partis de droite qui ont perdu le référendum du 5 juillet sont ceux qui sont en train de dicter avec les créanciers les lois que le Parlement doit adopter. Ce qui a été adopté dans la nuit du 22 au 23 juillet est une réforme du Code Civil qui avait été rédigée durant le mandat du gouvernement Samaras et qui a désormais été adoptée par la nouvelle majorité des députés de Syriza, avec les Grecs indépendants (ANEL), PASOK, To Potami et Nouvelle Démocratie. La situation politique est en contradiction totale avec l’orientation majoritaire du 5 juillet.
C’est pour cela que c’est insoutenable. Quand seront convoquées de nouvelles élections ?
Ça me paraît toujours imprudent de dresser des pronostics. Ce qui est sûr c’est que l’accord actuel ne donnera pas les résultats attendus et exigés par les créanciers. Ils continueront à exiger toujours plus de contre-réformes et de lois d’austérité. Jusqu’à quand Tsipras exigera la mise en œuvre d’une politique contraire au programme de Syriza ? Qui peut le savoir. On ne sait pas non plus si les travailleurs et les citoyens grecs entreront en actions massives de protestation. Jusqu’à maintenant il n’y en a pas eu, et elles ne seront sûrement pas massives cet été parce que les gens sont épuisés. Une bonne partie d’entre eux a encore l’espoir que Tsipras réussira à relancer l’activité économique. Il y a aussi l’attente d’un succès de Tsipras qui paralyse l’action. L’épuisement est un élément fondamental. Les gens ont participé aux grèves massives, aux protestations de rue de 2010 à 2013 et ils ne sont ni en condition, ni convaincus de la possibilité d’arriver à un changement de politique à travers de nouvelles protestations.
Récemment, tu as écrit « les alternatives possibles à la capitulation de Tsipras ». Quel parti, courant ou personnage politique grec pourrait les mener à bien ?
Nous ne savons pas quand aura lieu le congrès national de Syriza [1], mais jusqu’alors, une majorité du comité central de de Syriza était contre l’accord et en faveur de prendre des mesures radicales. Mais tant qu’il n’y aura pas de réunion du Comité Central ou de congrès extraordinaire, nous ne savons pas ce qui va se passer. Il va y avoir une grande pression de la part des partisans de Tsipras [2].
Dans ton alternative à la capitulation (http://cadtm.org/Grece-des-propositions)tu mentionnes aussi la possibilité d’une exclusion de la zone euro. La position du peuple grec sur le maintien dans la zone euro a-t-elle changé ?
La majorité des Grecs veut continuer avec l’euro, mais je ne sais pas jusqu’à quel point ces sondages sont vraiment crédibles puisqu’avant le référendum ils donnaient le oui à quasi égalité du non. Personnellement j’imagine qu’il y a toujours une petite majorité qui reste pour le maintien dans la zone euro.
J’ai parlé de mesures fortes de désobéissance aux créanciers : suspension du paiement de la dette, socialisation de la banque, contrôle des mouvements de capitaux et monnaie complémentaire. C’est faisable sans sortir de l’euro, mais ça peut mener à une sortie de la zone euro. L’idée qu’il fallait choisir entre accepter les conditions des créanciers ou sortir de l’euro est pour moi un faux dilemme, vu la situation dans laquelle se trouvait déjà la Grèce entre janvier et juin. Avec la capitulation de juillet, la situation change. La sortie de l’euro est une option. Il faut approfondir cette option dans le cas de la Grèce. Je pense que la sortie de la zone euro devient une perspective nécessaire.
Que penses-tu de la position de Podemos vis-à-vis de la Grèce et de la dette ?
J’espère que Podemos prendra ses distances avec la capitulation de Syriza et qu’il en tirera les bonnes leçons. Il faut se tenir à un programme alternatif radical si on veut incarner un gouvernement qui change la situation en faveur des citoyens espagnols et des peuples européens. Le danger, c’est que Podemos devienne une organisation qui dénonce le système tout en s’y intégrant. J’espère que non.
Traduit de l’espagnol par Charlotte Géhin
Voir en ligne : https://www.diagonalperiodico.net/p...