« La mine n’a jamais été aussi énergivore, aussi polluante et aussi radicale dans ses effets sur le vivant », nous rappelle Celia Izoard dans son livre La Ruée minière au XXIe siècle. Et pourtant, nos gouvernements et nos industriels cherchent aujourd’hui à lui redonner une légitimité au nom de la nécessaire action climatique. Que cachent les discours actuels sur les « métaux critiques » et la « mine responsable » ? Entretien.
Publié le 22 mars 2024
Comment en êtes-vous venue à travailler sur la question des mines ?
Celia Izoard : Cela fait quinze ans que je travaille sur la mystique de la technologie, et en particulier sur les concepts de société et d’économie « immatérielles ». Ce qui m’intéresse, c’est de rematérialiser notre monde, en remontant les chaînes de production. D’où mon intérêt pour les mines et les métaux. Par ailleurs, plus concrètement, je me suis rendue en Guyane pour une enquête pour la Revue Z, parue en 2018, sur le projet minier Montagne d’Or et sur l’orpaillage en Amazonie, avec en arrière-plan la base spatiale de Kourou. C’est de là qu’est partie ma réflexion sur ce que j’ai appelé dans mon livre la cosmologie extractiviste, qui puise dans le sous-sol pour se projeter dans le ciel au moyen de la technique. La Guyane d’aujourd’hui est une illustration parfaite de cette cosmologie, qui donne également à voir le lien indissoluble entre la mine et la conquête, et nous oblige à aborder ces questions avec un angle décolonial.
Il est beaucoup question aujourd’hui de renouveau minier, de retour de la question des métaux en raison notamment des besoins de la transition énergétique, avec la perpective d’ouvrir de nouvelles mines en Europe et même en France. Ce que vous montrez dans ce livre, c’est qu’il ne s’agit pas du tout d’un renouveau, mais d’une trajectoire de continuité : on n’a jamais cessé d’extraire toujours plus de métaux, avec toujours plus d’impacts. Mais on a réussi à nous le faire oublier.
Les volumes de métaux extraits dans le monde aujourd’hui augmentent massivement, et n’ont jamais cessé d’augmenter. On parle de renouveau minier, mais au cours des vingt dernières années, l’extraction de matières minérales a doublé en volume. Ce qui est parfaitement logique puisqu’on ne cesse de produire de nouveaux objets et de nouveaux équipements dans nos pays riches, notamment avec la numérisation et aujourd’hui l’intelligence artificielle, et qu’en plus de cela le reste du monde s’industrialise. En conséquence, on consomme de plus en plus de métaux, et des métaux de plus en plus variés – aussi bien des métaux de base comme le cuivre et l’aluminium que des métaux de spécialité comme les terres rares. Ces derniers sont utilisés en très petite quantité mais dans des objets qui sont partout, comme les smartphones. Le cuivre est un des métaux les plus anciens qu’on connaisse mais, indispensable à l’électrification, il est de plus en plus exploité.
Et la production de tous ces métaux, qu’ils soient d’usage ancien comme le cuivre ou plus récent comme les terres rares, devrait continuer à augmenter ?
Celia Izoard, La Ruée minière au XXIe siècle Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, Seuil Essais Écocène, 2024, 302 pages, 23€
Effectivement, il n’y a rien qui freine cette production, d’autant plus qu’on y ajoute aujourd’hui une nouvelle demande qui est un véritable gouffre : celle de métaux pour le projet très technocratique de la transition. « Transition », dans l’esprit de nos élites, cela signifie dans le meilleur des cas le remplacement d’une partie du système énergétique au moyen de l’électrification – donc avec des énergies renouvelables et des batteries – avec un modèle de société inchangé. Mais, par exemple, la batterie d’une voiture électrique représente souvent à elle seule 500 kg de métaux (contre moins de 3 kg pour un vélo électrique). Dans mon livre, je cite les estimations de Simon Michaux, un professeur de métallurgie qui a essayé d’évaluer le volume total de métaux à extraire si on voulait vraiment électrifier ne serait-ce que la mobilité. Pour le lithium ou le cobalt, cela représenterait plusieurs décennies de la production métallique actuelle. On est dans un scénario complètement absurde où même pour électrifier la flotte automobile d’un seul pays, par exemple l’Angleterre ou la France, il faut déjà plus que la totalité de la production mondiale. Ce projet n’a aucun sens, même pour lutter contre le réchauffement climatique.
Vous soulignez dans votre livre que l’industrie minière devient de plus en plus extrême à la fois dans ses techniques de plus en plus destructrices, et dans les nouvelles frontières qu’elle cherche à ouvrir, jusqu’au fond des océans et dans l’espace. De sorte que ses impacts deviennent de plus en plus ravageurs.
Oui, c’est le grand paradoxe. Les élites politiques et industrielles répètent que la mine n’a jamais été aussi propre, qu’elle a surmonté les problèmes qu’elle créait auparavant. Mais si l’on regarde comment fonctionne réellement le secteur minier, c’est exactement l’inverse que l’on constate. La mine n’a jamais été aussi énergivore, aussi polluante et aussi radicale dans ses effets sur le vivant et sur les territoires. J’en donne plusieurs exemples dans le livre. C’est lié au fait que les teneurs auxquelles on va chercher les métaux sont de plus en plus basses. Si on doit exploiter du cuivre avec un filon à 0,4%, cela signifie que 99,6% de la matière extraite est du déchet. Qui plus est, ce sont des déchets dangereux, qui vont le rester pour des siècles : des déchets qui peuvent acidifier les eaux, charrier des métaux toxiques un peu partout. Les résidus miniers vont s’entasser, dans le meilleur des cas, derrière des barrages qui peuvent provoquer de très graves accidents, qui sont sources de pollution, et qui sont difficilement contrôlables sur le long terme. Et ceci, c’est la norme. C’est l’ordinaire de l’industrie minière aujourd’hui. Il y a en outre des techniques nouvelles qui ont vu le jour ces dernières décennies, toujours plus destructrices comme le « mountaintop removal », la décapitation de montagne, pour les mines de charbon. Ces techniques sont très bien décrites dans le rapport de Syst-Ext « Controverses minières » [1], qui montre que nous assistons aujourd’hui à véritable escalade technologique qui est aussi une escalade de la prédation minière. La mine est aujourd’hui une des pointes avancées de ce qu’on a pu appeler le capitalisme par dépossession.
Comment expliquer, au regard de cette puissance destructrice, que les populations occidentales aient presque totalement oublié ce qu’est la mine, jusqu’à ce que nous parle aujourd’hui de renouveau minier ?
Il y a un déni spectaculaire, qui repose sur deux facteurs. Le premier est la religion de la technologie, l’une des idéologies dominantes du monde capitaliste. Nos dirigeants et certains intellectuels ont entretenu l’idée qu’on avait, à partir des années 1970, dépassé le capitalisme industriel, qui avait été tellement contesté pendant la décennie précédente, et qu’on était entré dans une nouvelle ère. Le capitalisme post-industriel était désormais avant tout une affaire de brevets, d’idées, d’innovations et de services. Les mines, comme le reste de la production d’ailleurs, ont disparu. C’est une idéologie très puissante qui permet de réenchanter le capitalisme en permanence. Le second facteur est géopolitique. Aux grandes heures du néo-libéralisme, notre déni de la mine était un pur produit de notre mode de vie impérial. Les puissances occidentales avaient la possibilité de s’approvisionner à bas coût, que ce soit par l’ingérence politique, en soutenant des dictatures, ou par le chantage à la dette et les politiques d’ajustement structurel. Ce sont ces politiques qui ont permis d’avoir du cuivre du Chili ou d’Indonésie si bon marché, ou tous ces métaux extraits en Afrique.
Si l’on s’est mis à parler de renouveau minier en Europe, c’est donc avant tout le reflet de changements géopolitiques.
Il me paraît évident que c’est lié à l’essor des BRICS. À partir du début des années 2000, les États-Unis, l’Europe et leurs alliés se sont aperçus que la Chine avait construit des monopoles sur certains métaux importants, et de même pour la Russie qui est également une grande puissance minière, notamment pour les platinoïdes. Or les technologies développées par les entreprises occidentales ne peuvent absolument pas se passer de ces métaux. On a donc vu arriver une avalanche de rapports et d’analyses géostratégiques concluant qu’il fallait relancer la mine, y compris sur le territoire des États-Unis et de l’Europe, et qu’il fallait faire pièce à la Chine et à la Russie parce que c’est un enjeu de souveraineté très fort.
Les besoins en métaux pour la transition climatique, si souvent invoqués aujourd’hui, ne sont-ils donc qu’une excuse commode ?
Invoquer la nécessité de créer des mines « pour la transition » est en effet hypocrite : c’est l’ensemble des industries européennes qui connaît un risque d’approvisionnement en métaux. En 2012 on a eu par exemple, en France, la relance minière lancée par Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Il disait déjà qu’il fallait ouvrir des mines en France, mais à cette époque, ce n’était pas du tout justifié par un quelconque impératif écologique, mais par l’emploi et la balance commerciale. La justification était purement économique, et cela s’est d’ailleurs soldé par un échec. Tous les projets de mines envisagés ont été contestés et aucun n’a vu le jour. C’est en 2017 que l’on a assisté à un changement de discours, avec un rapport de la Banque mondiale concluant que pour lutter contre le réchauffement climatique, il y aurait besoin d’énormément de métaux et qu’il allait falloir soutenir l’industrie minière. Le discours est devenu ; « L’industrie minière n’est pas du tout un obstacle à la lutte contre le réchauffement climatique. C’est notre meilleur allié. Il va falloir l’aider. » Mais c’est du pur storytelling. En réalité, si l’on regarde par exemple la récente loi européenne sur les métaux critiques, on voit bien qu’elle répond tout autant à aux besoins des grosses entreprises européennes pour l’aéronautique, l’aérospatiale, les drones, des data centers. De l’autre côté, comme je l’ai dit, c’est absurde du point de vue climatique. En se lançant dans l’électrification totale du parc automobile ou dans le déploiement à grande échelle des énergies renouvelables sans réfléchir à nos besoins, on ouvre de véritables gouffres, qui vont faire exploser la demande en métaux et donc nos émissions de gaz à effet de serre.
Ce discours de réenchantement et de relégitimation de la mine auprès des populations européennes vous semble-t-il efficace ?
On est en train de créer un régime d’exception minier, avec un abaissement des garde-fous réglementaires et des formes d’extractivisme de plus en plus désinhibées, et en parallèle on culpabilise les gens. La culpabilisation est un ressort psychologique très puissant, on l’a vu durant le Covid. On dit aux gens : « Si vous n’acceptez pas des mines sur notre territoire, alors on va les faire ailleurs, aux dépens d’autres populations, dans des conditions bien pires. » Or c’est faux. D’abord, la mine propre n’existe pas. Ensuite, la loi européenne sur les métaux critiques elle prévoit qu’au mieux 10% de la production minière soit relocalisée en Europe. Aujourd’hui, on en est à 3%. Ce n’est rien du tout. On va de toute façon continuer à ouvrir des mines ailleurs, dans les pays pauvres, pour répondre aux besoins des industriels européens. Si l’on voulait vraiment relocaliser la production minière en Europe, il faudrait réduire drastiquement nos besoins et prioriser les usages les plus importants des métaux. Cela inclut, certes, les métaux pour les cellules photovoltaïques et les éoliennes pour accompagner un processus de décroissance énergétique. Ou encore pour des batteries dont le poids serait limité. Dans ce cas, on aurait une vraie relocalisation. Mais c’est l’inverse qui est en train de se passer.
Peut-on imaginer qu’un jour il existe une mine propre ? L’idée en elle-même est-elle crédible ?
Si l’on considère la réalité des mines aujourd’hui, les procédés utilisés, leur gigantisme, leur pouvoir de destruction, on voit bien qu’une mine est intrinsèquement problématique, intrinsèquement prédatrice. Derrière l’idée de « mine responsable », au-delà du slogan commercial, il y a surtout un enjeu d’acceptabilité sociale. Il s’agit de faire croire aux gens que si l’on peut améliorer certains paramètres, cela suffit à justifier le projet tout entier. L’industrie minière part de très, très bas. Ce sont des pollutions à très grande échelle, des défenseurs de l’environnement assassinés, des logiques d’ingérence et de corruption. On peut certes apporter des améliorations à certains de ces problèmes, mais cela ne suffira jamais à rendre la mine industrielle viable, ni acceptable.
Ce qui m’a frappé dans les enquêtes que j’ai menées, c’est que les industriels et parfois les dirigeants politiques ne cessent d’invoquer certains concepts, par exemple la mine décarbonée ou le réemploi des déchets miniers pour produire du ciment, comme de choses qui existent et qui sont déjà mises en pratique. À chaque fois que j’ai regardé de plus près, le constat était le même : en réalité, cela n’existe pas encore. Ce ne sont que des promesses. Il y a une confusion permanente entre la réalité présente et l’avenir espéré, et les industriels surfent sur cette confusion. Sur le site de la nouvelle mine d’Atalaya à Rio Tinto en Espagne, on voir des panneaux publicitaires alignant des panneaux photovoltaïques avec des slogans du type « Rio Tinto, la première mine d’autoconsommation solaire ». Cela donne à penser que la mine est autonome énergétiquement, mais pas du tout. Il y a seulement une centrale photovoltaïque qui alimentera une fraction de ses besoins. Et tout est comme ça.
Le constat n’est-il pas le même en ce qui concerne le recyclage des métaux ?
Il y a un effet purement incantatoire, qui consiste à se rassurer en se disant qu’un jour tout ira bien parce que l’on pourra simplement recycler les métaux dont on aura besoin. Déjà, il n’en est rien parce que les quantités colossales de métaux dont l’utilisation est planifiée pour les années à venir, ne serait-ce que pour produire des batteries pour véhicules électriques, n’ont même pas encore été extraites. On ne peut donc pas les recycler. Il faut d’abord les produire, avec pour conséquence la destruction de nouveaux territoires un peu partout sur la planète. Ensuite, le recyclage des métaux n’est pas une opération du saint-Esprit ; il repose sur la métallurgie, il implique des usines, des besoins en énergie, et des pollutions assez semblables à celles des mines elles-mêmes.
Comme vous le montrez très bien dans votre ouvrage, il y a un lien très fort entre mines et technologie. Plus on mise sur la technologique pour résoudre nos problèmes, y compris la crise climatique, plus on a besoin de métaux. L’accent mis sur le besoin de métaux pour la transition ne reflète-t-il pas le fait que les multinationales ont réussi à s’approprier ce terme même de « transition », pour lui faire signifier en réalité la poursuite du modèle actuel ?
Le concept de transition n’a rien de nouveau, il était déjà employé au XIXe siècle. À cette époque, la transition sert à freiner les ardeurs révolutionnaires : on accepte qu’il faut des changements, mais on ajoute qu’il ne faut pas aller trop vite. Il y a donc une dimension un peu réactionnaire dans l’idée même de transition. Dans son dernier livre, Jean-Baptiste Fressoz montre que la transition énergétique tel qu’on l’entend aujourd’hui est une invention des pro-nucléaires américains dans les années 1950 pour justifier des investissements publics colossaux dans l’atome [2]. Ils ont tracé des belles courbes qui montraient qu’après l’épuisement des énergies fossiles, il y aurait besoin d’une solution énergétique comme le nucléaire, et qu’il fallait donc investir maintenant pour rendre le passage des unes à l’autre moins brutal.
La transition aujourd’hui, c’est avant tout du temps gagné pour le capital et pour les grandes entreprises. Les rendez-vous qu’ils nous promettent pour 2050 et leurs promesses de zéro carbone sont évidemment intenables. Les technologies et l’approvisionnement nécessaire en métaux n’existent pas, et s’ils existaient, cela nous maintiendrait sur la même trajectoire de réchauffement climatique. Ces promesses ne tiennent pas debout, mais elles permettent de repousser à 2050 l’heure de rendre des comptes. Ce sont plusieurs décennies de gagnées. Par ailleurs, le terme de transition est de plus en plus utilisé comme étendard pour justifier une croisade, une politique de plus en plus agressive pour avoir accès aux gisements. Les pays européens et nord-américains ont signé un partenariat en ce sens en 2022, en prétendant que certes ils veulent des métaux, mais pour des raisons louables. La transition sert de figure de proue à ces politiques impériales.
Vous avez mentionné que l’une des industries les plus intéressées par la sécurisation de l’accès aux métaux est celle de l’armement. Vous décrivez dans votre livre une sorte de cercle vicieux : on a besoin de métaux pour l’armement, mais les mines alimentent les rivalités géopolitiques et provoquent des déplacements de populations et des conflits locaux, ce qui augmente le besoin d’armements. Vous semblez suggérer que c’est l’une des dimensions négligées de la guerre en Ukraine.
Peu de gens savent qu’en 2021, la Commission européenne a signé avec l’Ukraine un accord de partenariat visant à faire de ce pays une sorte de paradis minier pour l’Europe. L’Ukraine possède de fait énormément de ressources convoitées par les industriels, qu’ils soient russes, européens et américains. Cela a joué un rôle dans le déclenchement de la guerre. On voit bien que pour, pour accéder aux gisements, on va engendrer des conflits, militariser encore plus les relations internationales, ce qui va nécessiter de produire des armes de plus en plus sophistiquées, et donc d’extraire de plus en plus de métaux, et donc sécuriser l’accès aux gisements, et ainsi de suite. C’est un cercle vicieux que l’on peut résumer ainsi : la ruée sur les métaux militarise les rapports entre les nations, alimentant la ruée sur les métaux pour produire des armes afin de disposer des moyens de s’emparer des métaux. Il y a un risque d’escalade dans les années à venir. On évoque trop peu la dimension matérialiste des conflits armés, qui sont souvent rabattus sur leur dimension idéologique. La guerre en Ukraine serait liée à la volonté de Poutine de recréer la grande Russie. C’est vrai, certes. Mais la grande Russie, c’est aussi la puissance industrielle et donc l’accès aux ressources. Ceci n’est pas nouveau : cela fait longtemps que les empires reposent sur les métaux.
Au fond, à vous lire, on a l’impression qu’il faut sortir des métaux tout comme il faut sortir des énergies fossiles. Les deux vont un peu ensemble.
On a besoin de sortir de l’extractivisme au sens large. Extraire du pétrole, du charbon, du gaz ou des métaux, c’est le même modèle. D’ailleurs, d’un point de vue administratif, tout ceci correspond strictement à de l’activité minière, encadrée par des permis miniers. C’est de cela dont il faut sortir, de l’habitude de traiter le sous-sol comme un magasin, et de faire primer l’exploitation du sous-sol sur tout le reste, et en particulier sur les territoires et le vivant. Concrètement, qu’est ce qu’on peut faire ? Pour commencer, les deux tiers des mines sur la planète devraient fermer – les mines métalliques comme les mines de charbon. Ça paraît utopique de dire cela, mais cela répond à un problème urgent et vital : deux tiers des mines sont situées dans des zones menacées de sécheresse, et on n’aura pas assez d’eau pour les faire fonctionner à moins d’assoiffer les populations. En plus de cela, elles émettent du CO2, elles détruisent des territoires, elles déplacent des populations, elles nuisent à la démocratie. Il faut donc faire avec une quantité de métaux restreinte, et recycler ce que l’on peut recycler.
Vous soulignez pourtant que nous n’avons pas cessé, ces dernières années, d’ajouter de nouvelles technologies et de nouveaux objets dans notre quotidien, notamment du fait de l’envahissement du numérique. Réduire notre consommation de métaux implique-t-il de renoncer à ces équipements ?
Oui, mais au préalable, quand on dit que « nous n’avons pas cessé d’ajouter des nouvelles technologies polluantes », il faut analyser un peu ce « nous ». « Nous » n’avons pas choisi de déployer des caméras de vidéo surveillance et des écrans publicitaires partout. Nous n’avons pas choisi le déploiement de la 5G, qui a été au contraire contesté à cause de sa consommation d’énergie. La plupart d’entre nous subit plutôt qu’elle ne choisit la numérisation des services publics, instrument privilégié de leur démantèlement et de leur privatisation : l’usage de Pronote à l’école, Doctissimo et la télémédecine dont la popularité est due à l’absence de médecins, etc. Dans le secteur automobile, la responsabilité des industriels est écrasante. Depuis des décennies, ils ne cessent de bourrer les véhicules d’électronique pour augmenter leur valeur ajoutée. Ces dernières années, ils ont massivement vendu d’énormes voitures électriques parce qu’ils savaient que le premier marché de la voiture électrique, c’était d’abord la bourgeoisie, et que les bourgeois achèteraient des SUV et des grosses berlines. Donc quand je dis que nous devons réduire notre consommation de métaux, j’entends surtout par-là dénoncer les industries qui inondent le marché de produits insoutenables sur le plan des métaux (entre autres). Mais il est vrai que nous – et là c’est un vrai « nous » - devons réfléchir ensemble aux moyens de sortir de l’emprise numérique. Du point de vue des métaux, le smartphone n’est pas viable : sa sophistication et son caractère ultra-mondialisé en font un concentré d’exploitation et d’intoxication, des mines aux usines d’assemblage chinoises ou indiennes. Et bien sûr il a des impacts socialement désastreux, des addictions à la surveillance, en passant par la « surmarchandisation » du quotidien qu’il induit, à chaque instant de la vie. Là-dessus, il faut agir rapidement, collectivement, ne serait-ce que pour se protéger.
Entretien réalisé par Olivier Petitjean
[1] Disponible sur le site web de l’association Syst-Ext.
[2] Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, Seuil, Essais Ecocène, janvier 2024.