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Katerina Sergidou
Militante du DEA, membre de l’Assemblée 8M, Athènes et chercheuse en anthropologie sociale à l’Université Panteion.
Article publié sur le site A l’Encontre
Depuis l’arrivée de la crise économique de 2008-2009, peut-être aucune autre ville d’Europe n’a connu autant de manifestations et d’attaques policières qu’Athènes. Le peuple grec, la gauche dans toutes ses variantes et les mouvements sociaux se sont battus avec acharnement. Ils ont encerclé le parlement. Ils ont défendu leurs maisons contre les banques cherchant à les exproprier sous le prétexte de retard dans le paiement des intérêts hypothécaires. Ils ont manifesté contre les atteintes à la législation du travail, au droit de grève. Ils se sont mobilisés contre les mémorandums de la troïka (FMI, BCE et Commission européenne) et la politique des créanciers faisant de la Grèce une sorte de protectorat. Ils se sont battus contre la privatisation des ressources : des terres à l’eau, en passant par l’électricité. Ils ont proclamé un OXI (NON) lors du référendum de juillet 2015, même si ce non et devenu un OUI, sous la bannière du gouvernement d’Alexis Tsipras. Grèves, manifestations, protestations, célébrations, occupations : les rues d’Athènes et d’autres villes, d’une manière ou d’une autre, ont été très « indisciplinées » au cours des 12 dernières années, surtout durant la période allant de la révolte des jeunes en 2008 jusqu’au référendum de juillet 2015.
Nous rappelons qu’entre 2012 et 2014, le pays a connu 40 journées de mobilisations et grèves dites générales. Bien que les coups portés au peuple grec aient été très durs depuis l’arrivée au gouvernement, le 9 juillet 2019, de Kyriákos Mitsotákis – à la tête du parti conservateur de la Nouvelle Démocratie – il était clair que, peu à peu, les manifestations et actions de résistance allaient se multiplier.
Face aux conséquences socio-économiques très profondes de la pandémie de Covid-19, les premières manifestations de « colère sociale » – malgré toutes les difficultés inhérentes au poids du chômage et de la précarité dans la vie quotidienne et aux politiques répressives (en fin mai 2020, des travailleurs du secteur touristique, paralysé par le confinement, ont été fortement réprimés par la police lors d’une manifestation) – se constituaient comme des éléments nécessaires à une possible nouvelle phase des luttes sociales et politiques.
La réponse du pouvoir à cet environnement instable réside dans la quasi-interdiction des manifestations. Le gouvernement de droite et son ministre Michalis Chrisoxoidis (anciennement membre du PASOK) ont proposé une loi qui restreint sérieusement le droit de manifester. Le Parlement grec a approuvé le projet de loi le jeudi 9 juillet 2020, avec le soutien de 187 députés (Nouvelle Démocratie, KINAL (ex-Pasok) et l’ultra-droite), alors que 101 ont voté contre (Syriza, KKE, MERA25-Varoufakis). Bien que Syriza ait exprimé une opposition parlementaire au cours des derniers jours, la direction de Syriza ne voulait pas s’engager à organiser une riposte des secteurs de la société. L’essentiel du poids d’une réplique à cette expression renouvelée d’une politique autoritaire a reposé sur les épaules d’un secteur syndical et de la gauche radicale, même s’ils n’ont pas accès aux médias.
La loi permet aux autorités de limiter et de déterminer les itinéraires des manifestations. Un des piliers de cette contre-réforme est de pouvoir interdire les manifestations qui, selon la définition des autorités, peuvent entraver la circulation ou limiter l’activité commerciale dans les villes. La loi prévoit une nouvelle figure socio-juridique, celle de « l’organisateur » de la manifestation. Il sera contraint de collaborer avec la police pour garantir le caractère pacifique de la manifestation et, au final, il sera responsable de tout dommage survenu. En outre, toute manifestation non approuvée sera considérée comme un crime et, à ce titre, des mesures seront prises contre les organisateurs désignés par les forces de police. La loi prévoit également des peines de prison pour les organisateurs des manifestations en cas de « troubles », même si ces derniers sont le fait de groupes n’ayant aucun lien avec la manifestation.
Alors que le parlement votait sur « la loi de la dictature », comme la qualifie le mouvement dans les rues d’Athènes, le jeudi 9 juillet, la police a dispersé avec des gaz lacrymogènes ceux qui protestaient contre la nouvelle loi. Les policiers, sur des motos, ont frappé des manifestant·e·s et ont arrêté des nombreuses personnes.
Les journées de protestation du 7 au 9 juillet ont occupé plusieurs rues de la capitale et de 40 villes grecques. On estime que plus de 10 000 manifestants pacifiques ont défilé dans le centre d’Athènes. Les mobilisations contre la loi ont été appelées par les syndicats, par le Comité pour la liberté de manifester (composé des forces de la gauche radicale sauf le Parti communiste), le Parti communiste (KKE), d’autres partis d’opposition et des associations d’étudiant·e·s. Le Comité pour la liberté de manifester est au cœur de ces protestations. Depuis plusieurs jours, il appelle à de nouvelles actions pour défendre les manifestants arrêtés.
La lutte pour défendre nos droits démocratiques sera longue. Annuler, dans la réalité concrète, l’application de cette loi constituera une épreuve qui va se répéter. En réalité, le gouvernement revient de plus en plus à des méthodes de la dictature bien qu’il tente de présenter un visage plus libéral. Le régime craint que la société – ou des secteurs de cette dernière – exprime sous diverses formes le rejet des conséquences des décisions inspirées par le processus de contre-révolution néolibérale. Le gouvernement s’attaque à l’attachement populaire aux droits démocratiques. Il affirme que si les salarié·e·s des hôpitaux – qui ont ironiquement applaudi le gouvernement fin juin et qui durent face faire à la police – veulent faire grève, ils doivent lui en demander la permission. Il affirme que si des millions de personnes descendent dans la rue pour manifester contre les coupes budgétaires, au même titre où ils l’ont fait de 2012 à 2014, ils doivent nommer officiellement « un organisateur responsable ». Il proclame que si nous, féministes, voulons organiser une manifestation devant les tribunaux pour défendre la mémoire de nos sœurs assassinées, comme dans le cas d’Eleni Topaloudi (violée, torturée et assassinée en novembre 2018 sur l’île de Rhodes), nous devons demander la permission. Il nous dit que si les habitants de Volos veulent défendre l’eau de leur terre contre la privatisation – entre autres comme ils l’ont fait le 13 juin, malgré la répression policière qui a fait un mort le jour suivant – ils doivent demander la permission de manifester.
Dans les mois à venir, il est crucial d’élargir la coalition qui défend les droits démocratiques au sens large, la liberté et la « démobilisation » d’une police qui renoue toujours plus avec sa tradition répressive. Il est dès lors important de gagner de plus en plus de couches de la société à agir pour dans ce but ; ce qui implique une jonction concrète entre les besoins et les droits sociaux qui en découlent et la défense des droits démocratiques.
15 juillet 2020
Traduction-édition rédaction A l’Encontre