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Mexico, 1968. Quand le Black Power s’invitait sur le podium

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Ulises Lima

Deux poings noirs levés sur un podium : le geste des deux athlètes afro-américains est universellement connu. Tommie Smith et John Carlos ont obtenu respectivement la médaille d’or et la médaille de bronze aux 200m lors des Olympiades de 1968 au Mexique. Aux Etats-Unis le mouvement des droits civiques battait son plein, le Black Panther Party et ses actions spectaculaires étaient entrés dans la scène politique deux ans plus tôt et Muhammad Ali avait été déchu de son titre de champion du monde pour avoir refusé d’aller combattre au Vietnam.

Smith et Carlos faisaient partie du mouvement Olympic Project for Human Rights (OPHR) et voyaient dans Ali un exemple de détermination. Avant de participer aux Jeux Olympiques, lui et ses camarades avaient menacé de boycotter la compétition si leurs revendications n’étaient pas satisfaites : que l’Afrique du Sud et la Rhodésie, pays où existait un apartheid racial, soient exclus des Olympiades, qu’on rende son titre de champion du monde à Muhammad Ali, que Avery Brundage démissionne du Comité Olympique et que plus d’entraineurs Noirs soient embauchés.

Les deux athlètes ont reçu leurs médailles, puis ils ont baissé leurs têtes et levé leurs poings gantés pendant toute la durée de l’hymne national américain. Mais il y a plus dans cette célèbre image que ce qu’on en a dit. Les deux athlètes sont sans chaussures pour représenter la pauvreté noire. Smith a également une écharpe noire pour représenter la fierté noire, tandis que Carlos a sa veste ouverte, ce qui pour lui voulait représenter les ouvriers et les opprimés. Il dira dans une interview : « Voila pourquoi ma veste était ouverte. C’est eux qui contribuent le plus à la société, ils sont si importants mais ne sont pas reconnus. » Carlos portait également un collier de perles noires en référence aux Noirs lynchés aux Etats-Unis « et pour qui personne n’a dit une prière ».

La réaction du Comité Olympique ne s’est pas faite attendre. Pour eux, le geste de Smith et Carlos allait contre les « principes de l’esprit Olympique » et le caractère « apolitique » des compétitions, ce qui a de quoi étonner après que les Olympiades aient été tenues en Allemagne nazie et que le salut nazie ait été toléré par Brundage à l’époque. Les deux athlètes sont exclus du village olympique et renvoyés chez eux. Ce ne sera pas la fin des ennuis pour le Comité Olympique puisque les gagnants des trois médailles du 400 mètres, trois afro-américains, manifesteront leur solidarité avec Smith et Carlos pendant l’hymne avec des poings levés et portant des bérets noirs.

A l’issue de cette épreuve, Smith critiquera le racisme et l’hypocrisie dans le milieu du sport et même au sein de l’équipe olympique américaine : « C’est très décevant d’être dans une équipe avec des athlètes Blancs. Sur la piste t’es Tommie Smith, l’homme le plus rapide du monde, mais une fois dans le vestiaire tu n’es rien de plus qu’un sale négro. »

Le troisième homme

Il y a encore des secrets cachés derrière cette image mythique. Il s’agit de l’australien Peter Norman, médaille d’argent sur le podium qui a manifesté sa solidarité avec la lutte des Noirs américains à sa manière, en portant le badge de l’OPHR. Norman comprenait ce qu’était la discrimination raciale, puisqu’en Australie les indigènes n’ont pas eu le droit de vote pour les élections fédérales jusqu’en 1962. Lorsque les deux athlètes afro-américains lui ont fait savoir qu’ils allaient protester pendant l’hymne, Norman a juste demandé : « Qu’est-ce que je peux faire pour vous aider ? »

De retour en Australie, Norman allait être ostracisé par les médias et être progressivement marginalisé dans le milieu du sport. Il ne sera pas envoyé aux Olympiades de 1972, malgré le fait d’être qualifié. La colère du establishment contre Norman a duré plus de trente ans, puisqu’il a été le seul athlète olympique consacré à avoir été exclu du tour d’honneur en 2000, malgré le fait d’avoir été un des meilleurs athlètes de l’histoire. Après Mexico, il a eu des difficultés à trouver un emploi. Il a été professeur de gymnastique, charcutier et même syndicaliste, mais cela ne l’a pas empêché de sombrer dans l’alcoolisme et la dépression. Il est mort à l’âge de 64 ans d’une crise cardiaque.

Carlos dira de lui : « Au moins Tommie et moi nous nous avions l’un l’autre quand on est rentrés. (…) Quand Peter est allé chez lui, il a du faire face à tout un pays. Il n’a jamais vacillé, il n’a jamais nié d’avoir été là haut avec nous avec un but, il n’a jamais dit « je m’excuse » de s’être engagé. Cela dit beaucoup de qui il était. »

Ce n’est qu’en 2012 que le Parlement Australien votera des excuses officielles à Peter Norman.

Après les Olympiades : menaces de mort et racisme aux USA

Le retour aux Etats-Unis sera dur pour les deux sportifs. S’ils se disaient prêts à encaisser tous les coups, ils ne prévoyaient pas que leurs familles seraient affectées. Tous les deux recevront des menaces de mort. Smith sera licencié de son emploi et aura du mal à en trouver après, même l’armée ne veut pas de lui. Il divorcera de sa femme et se trouvera dans une situation économique catastrophique. De la même manière, sans travail et ses enfants harcelés à l’école, la femme de Carlos se suicide en 1977. Il faudra attendre des longues années pour que Tommie Smith et John Carlos soient réhabilités par le monde du sport. Dans son autobiographie, Carlos montre qu’il aurait du protéger plus sa famille, mais qu’il ne regrette rien : « Je n’aimais pas comment le monde tournait à l’époque, et je pense que le monde d’aujourd’hui a besoin de quelques changements. »

P.-S.

Une lectrice attentive de l’article sur les JO de Mexico en 1968, nous communique les importantes précisions suivantes :
"je complèterai avec le contexte sanglant dans le lequel se sont déroulés ces jeux. Voir le lien sur wiki : https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Tlatelolco
qui est un bon résumé et pour approfondir le livre Elena Poniatowska, La Nuit de Tlatelolco, México D.F., CMDE, 2014 Toulouse."

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Mis à jour le samedi 13 avril 2024